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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

fer retentit sous le vaste toit de la houillère, et la benne suspendue au-dessus du vide, toute ruisselante des eaux suintant le long des parois du puits, après quelques vagues mouvements, s’engouffra dans le trou, d’où sortaient des émanations tièdes, une haleine, — quelque chose rappelant la respiration d’un monstre. La descente s’opérait avec une vitesse vertigineuse ; mais Jean et Quentin n’en avaient guère conscience : il leur semblait dans l’obscurité où ils se trouvaient, ne pas changer de place ; ils ne percevaient qu’une faible trépidation. Seulement, quand ils se communiquaient leurs impressions, la parole s’enfuyait tout de suite lointaine, la voix prenant des sons argentins.

Le bruit, le mouvement qui se faisait autour d’eux, mille étoiles errantes, faibles lueurs des lampes entrevues dans des boyaux souterrains, — des sortes de tunnels, — une atmosphère lourde et chaude, tout leur apprit leur arrivée au fond de la mine.

— Sapristi-minette ! fit l’ami de Quentin, je vois luire jusque dans l’obscurité vos yeux étonnés.

— On ne descend pas tous les jours à huit ou neuf cents pieds sous terre, observa Quentin Werchave.

— Où sont les écuries ? demanda Jean.

— Il est pressé « pour une fois » ton ami, chuchota le commis aux écritures. Nous y allons aux écuries, « viens avec » ajouta-t-il.

— C’est qu’il a acquis un élan de deux cents lieues ! répondit Quentin.

On marcha vers les écuries.

Jean commençait à s’habituer à l’absence du jour et aux lumières. Saisissant spectacle que celui de cette exploitation souterraine ! On entendait le bruit sec du tranchant des pics, et l’écroulement des pans de houille que les mineurs arrachaient avec des crocs ; c’était comme une rumeur de pioches maniées, des roues de fer en mouvement, d’ébrouement de chevaux, de roches roulées ; rumeur martelée par la masse des charpentiers, coupée de coups de sifflets et d’ordres donnés, et mêlée de colloques en un français passablement altéré.

Tout un monde de mineurs se croisait comme en une fourmilière. Piqueurs qui abattent le charbon, hercheurs ou yercheurs qui le chargent sur les berlines, rouleurs qui le voiturent jusqu’au puits, haveurs qui pratiquent dans la roche des coupures parallèles à la couche, boiseurs qui étançonnent les galeries, tous gens nullement sombres sous le noir de leur peau, actifs, insouciants, montrant enfin par leur attitude combien le sort des