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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/570

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Nantes, Redon, Vannes, Lorient, Quimper et Châteaulin ; l’autre par le Mans, Laval, Rennes et Saint-Brieuc. De là, possibilité à discussion, et pour Méloir une occasion toute naturelle de faire montre de son entêtement. Le gars de Landerneau voulait prendre la voie la moins coûteuse : celle de Nantes et du littoral ; Jean qui connaissait un peu cette partie de la Basse-Bretagne, donnait la préférence à l’autre voie. La différence des prix n’était guère sensible ; quelque chose comme trois francs quarante-cinq centimes.

Et grâce à cette direction-là, Jean, en curieux qui tient à s’instruire, traverserait la Haute-Bretagne avant de pénétrer dans la région du littoral.

Malheureusement, Méloir n’était nullement prêt à céder.

— De sûr et de vrai, vous voulez me ruiner ! s’écriait-il avec force, comme s’il se fût agi d’un grave préjudice à lui occasionné. Vous qu’êtes de Paris, vous en avez de cet argent mignon à dépenser ! Ah dame ! Tout un quelqu’un ne peut point être riche, et chacun connaît midi à sa porte. Vous étiez le neveu de voire oncle, et vous avez la bride belle ; moi je n’étais que le gazier, le père aux chandelles.

Jean avait une furieuse envie de l’envoyer promener et de poursuivre son voyage vers Bordeaux ; mais il sentait le ridicule de reprendre sa promesse — l’odieux même qu’il y avait à le faire, après avoir bercé d’une si grande espérance le pauvre Méloir. Il donnait donc toutes sortes de bonnes raisons.

— Mais trois livres cinquante, moins un sou !… Ça me ferait trop deuil ! Le premier économisé est le premier gagné. Un camouflet fait vingt-huit chopines, voyez-vous !

— Enfin, ce n’est pas la mort d’un homme !

— Comme vous y allez ! Trois livres cinquante, moins un sou ! Misère de malheur !

— C’est que je voudrais voir le Mans et Rennes, en passant.

— Par alors, c’est y pour moi que vous venez à Landerneau ou pour vous amuser en route ? Faut pas mentir !

— C’est pour toi, Méloir… c’est surtout pour toi.

— Eh bien ! Je ne connais que ça : trois livres neuf sous de différence. Je me reprocherais toute ma vie, ces trois livres et neuf sous ; v’là comme nous sommes à Landerneau… des gars à trois poils ; on ne leur ferait pas accroire que les nues sont des piaux de viaux.

Jean exaspéré, eut enfin une illumination subite : il venait de trouver un moyen de couper court à toutes ces difficultés interminables.

— On peut s’entendre, dit-il ; je paierai le surplus de ta place.