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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

c’était donc plaisant ! Aussi Ange Lorant, qu’avait lampé ses sept potées de cidre a éborgné Josille.

— Et toi, demanda Jean en riant, ne t’es-tu pas battu ?

— Ah ! dame si ! j’en ai cabossé deux avec mon pen-bas, si bien que j’étais fait comme un loup de brousse et que Yvon Troadec —, la grêle ! — m’a flaupé dur dessus.

— Et depuis, dit Jean, tu n’as plus eu envie d’aller au pardon de Guingamp ?

— Savoir ! C’est fini pour un temps, mais qui vivra verra, et aussi vrai que je le dis, le vieux Joson qu’avait la caboche dure et le bras solide s’est croché avec un gars de Paimpol, et lui a rentré une côte. Le failli merle n’a pas tant seulement gloussé. Faut pas mentir : le vieux a dit : Si c’est péché j’irai à confesse donc, et la fin du monde après !… Miserere à tous les saints ! comme je m’ai amusé !

— Si tu allais… m’attendre chez le vieux Joson, à Landerneau, demanda Jean.

— Le vieux ? répondit Méloir ; ah ! il est là où nous irons tous sur la semaine ou ben le dimanche, dans le berlinguen.

— Le berlinguen ?

— Oui bien, le cimetière donc !

Méloir parlait encore que déjà le train avait repris sa marche, décrivant une courbe de 800 mètres de rayon autour de la ville. Il passa le Trieux sur un viaduc, et la route de Brest sur un pont, et défila devant Plouaret, chef-lieu de canton. Il traversa la chaussée de l’étang de Trogoff. Un peu après, on pouvait apercevoir sur la gauche les montagnes de l’Arrès. Le train s’engagea sur le grandiose viaduc jeté d’une colline à l’autre au-dessus de Morlaix, de son port formé par la jonction de deux rivières, à sept kilomètres de la Manche, de ses quais, de ses maisons aux façades revêtues d’ardoises, disposées en amphithéâtre dans un pêle-mêle qui réjouit l’œil, de ses rues en escaliers et de ses jardins étagés.

On entra enfin dans la vallée de l’Élorn ; le train franchit le pont de Cannardic ; à gauche s’étendait la forêt de Brézal. On passa au pied des ruines du château de la Roche — et, sans quitter la vallée de l’Élorn, on déboucha sur Landerneau.

Les choses se passèrent alors comme il avait été projeté. Jean et Méloir, juchés sur l’omnibus de la gare, descendirent un peu avant l’endroit où habitait le tailleur Troadec.