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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

empressés même, et du même coup, en gens pratiques, ils prirent aussi possession de la maisonnette de la bonne vieille et du jardin potager bien préférables à la chaumière en mauvais terrain qu’ils possédaient tout au bout du village.

La grand’mère de Pauline comptait bien rappeler auprès d’elle la fillette dès qu’elle serait en état de supporter le voyage ; mais il arriva, dans ces temps où tous les malheurs se succédaient sans relâche, que la pauvre mère Gertrude s’éteignit tout à coup : épuisée par ce dernier effort accompli en arrachant à l’étranger l’enfant de son nom et de son sang, et douloureusement atteinte par le deuil de quitter ce coin de terre française. Elle y était née, et rien, semblait-il, ne pouvait la priver de la triste douceur d’y mourir…

De braves gens de Dommartin écrivirent alors à l’oncle Antoine. Toujours rempli de bonne volonté, l’ouvrier ébéniste vint chercher Jean — deux fois orphelin. Jean revint à Paris avec son oncle. Il entrait alors dans sa neuvième année.

À cet âge, les chagrins n’ont guère de prise… L’enfant eut donc un moment d’épanouissement. Sa robustesse, ses bonnes couleurs firent sensation dans le faubourg populeux, où les gamins du même âge semblaient chétifs auprès de lui. Pendant six mois il fut pour tout le quartier « l’Alsacien qui ne voulait pas être Allemand », — et on le fêtait. Au bout de l’année, grâce à sa gentillesse et n’étant plus trahi par la fraîcheur de ses joues, Jean prenait droit de cité et s’élevait sans opposition à la situation privilégiée de gamin de Paris, à laquelle lui donnaient déjà des titres surabondants, sa naissance dans la grande ville et sa lignée maternelle.

Ce qui facilita, du reste, cette évolution, c’est qu’il se défendait volontiers, — on n’aurait pu dire pourquoi, — d’appartenir aux provinces perdues ; ce n’était là ni répugnance, ni fantaisie puérile ; il y avait une raison autrement sérieuse à cela ; le pauvre petit avait été témoin d’une odieuse scène faite à sa grand’mère par le brutal Jacob Risler, et qui s’était terminée par la soustraction de ce brevet et de cette croix qui constituaient un titre d’orgueil et une relique sacrée aux yeux de la mère Gertrude et de son petit-fils. — On sait déjà quelque chose de cette scène.

Or, l’enfant avait retenu quelques-unes des expressions injurieuses prononcées contre son père. Un doute affreux avait germé dans son esprit. Quelques mois plus tard, lorsque sa pauvre grand’mère l’adjura de ne rien croire de ce qu’avait dit Risler son mauvais parent, ce doute se dissipa ; mais à mesure que s’effaçait le souvenir des paroles de la bonne-maman, l’impression