Aller au contenu

Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/735

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
727
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

des mariniers accourus dans un solide bateau, le naufragé fut tiré de l’eau et ramené à Valence.

Un heure après, les banknotes du portefeuille convenablement séchés au soleil, et quelques pièces de rechange pour son vêtement fournies à l’Anglais, on eut pu voir le héros de cette folle équipée déjeunant tranquillement, si toutefois ce mot peut s’appliquer à un affamé devant qui les plats se succédaient avec rapidité. Il était trois heures de l’après-midi : le baronnet avait mis sept heures pour descendre le Rhône de Lyon à Valence, — de rudes heures !

Quant à la merveille des merveilles, le canot de papier, devenu informe, il roulait comme un corps mort vers Avignon et la mer.

Il y avait une heure que Maurice et Jean, suivis de Méloir, venaient d’arriver à Valence par le chemin de fer, — qui va encore plus vite qu’un canot. Aussi ne doutaient-ils pas d’avoir dépassé le canot de papier. Ayant renoncé à reprendre leur course en vélocipède, ils avaient renvoyé à Châlons les bicycles loués, et étaient montés en wagon pour Valence, avec l’espoir que le baronnet ne pousserait pas plus loin que cette ville ce jour-là, et qu’ils l’y rejoindraient. Mais lorsque dès leur arrivée ils allèrent voir le fleuve, ils le trouvèrent tellement rapide et menaçant pour un canot de papier qu’ils se persuadèrent qu’à moins d’une catastrophe presque immédiate l’Anglais avait dû chercher un refuge bien avant Valence.

Alors très humiliés, affligés même, ils décidèrent de revenir vers Lyon, après avoir jeté un simple coup d’œil sur la ville. Ils parcoururent le quartier Saint-Victor, presque détruit par un incendie moins de trois mois auparavant. Ils virent la cathédrale, qui possède le cœur de Pie VI, mort à Valence dans le château du Gouvernement. Jean chercha en vain des traces du séjour de Napoléon Bonaparte dans cette ville, où il passa trois ans en garnison, étant sous-lieutenant d’artillerie.

Enfin, ils se dirigeaient vers la gare, lorsque Méloir, toujours en arrière, toujours mêlé aux populations, pérorant ou se disputant, sortit d’un cabaret et accourut pour leur apprendre le naufrage de l’Anglais sur le Rhône. Il savait où le baronnet « se retrempait ; » et le Breton n’avait pas terminé la cinquième version de l’accident funeste, que Maurice et Jean pénétraient dans la chambre d’hôtel où le baronnet achevait de se sécher devant un bon feu ; car cette journée d’octobre était réellement froide et brumeuse, même pour quiconque n’eut pas pris des familiarités avec le fleuve Rhodanus.