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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/787

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Le futur explorateur de l’Afrique aimait à se trouver en face de cette mer si belle, si engageante, large chemin intrépidement parcouru depuis tant de siècles ! Il se familiarisait avec elle par la contemplation. Souvent, après une journée d’étude, à l’heure où le soleil éclairait horizontalement les collines il aimait à quitter la ville et à suivre la belle avenue du Prado, bordée de chaque côté d’allées d’arbres, et à l’alignement de laquelle se rangent les grilles des villas et de leurs jardins. À un rond-point, ces allées se brisent à angle droit, et se dirigent vers la plage. Aussitôt, Jean apercevait les eaux bleues de la Méditerranée au bout de la perspective.

Une fois au bord de l’eau, il s’en revenait du côté de la ville en suivant le rivage par la Corniche, superbe route de voitures, taillée dans la roche — marchant en plein soleil, le visage fouetté par le vent du large ; il escaladait la colline pointue que termine Notre-Dame de la Garde, et il s’asseyait là, au sommet, un livre sur les genoux, pour lire encore tant qu’il ferait jour.

De cette hauteur, il voyait dans toutes les directions la mer promenant ses vagues ; il voyait la ville et les divers bassins qui reçoivent les navires. Puis, la nuit tombait ; les rues de la ville s’éclairaient de points lumineux ; le phare de Planier allumait au loin, sur la mer, son feu tournant ; la grosse cloche de Notre-Dame de la Garde frappait lentement les coups de l’angelus, dont la vibration prolongée remuait la poitrine et le cœur du pauvre garçon.

Dans son isolement, plus sensible encore à cette heure et en ce lieu, il faiblissait un moment ; il pensait à tous ceux qu’il aimait et dont il était si loin, sa réflexion s’arrêtait mélancolique sur le souvenir de Sylvia, ce culte de sa vie, et il se disait que, par un sorte de dérision, la voie qui le rapprochait le plus d’elle était le sillage à peine visible encore des navires, sur cette vaste mer dont le bleu s’assombrissait et se moirait devant la nuit. Et puis, de minute en minute l’éclat du phare lui apparaissait comme un appel mystérieux. Au delà de toute cette eau, se disait-il aussi, se trouvait l’Afrique, vers laquelle tendaient présentement tous ses efforts. Alors, il redevenait lui-même.

Il fermait son livre et descendait d’un pas léger vers la ville. Pour deux sous, un batelier lui faisait traverser le vieux port, juste en face de l’étalage de son oncle, qui s’était assoupi sur sa chaise dès que les oiseaux aux plumages exotiques des boutiques voisines avaient cessé de crier et de pépier. On mettait les volets, et on s’en allait dîner chez un Sicilien qui vantait son art de préparer la pâte, tandis qu’on engloutissait les grandes jattes de