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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

et plaintive — dans laquelle trois ou quatre notes se trouvaient si étrangement combinées que leur consonance ne pouvait être éteinte ni par le bruit des torrents, ni par les échos roulant au fond des précipices, ni par les commotions de l’atmosphère. C’est la courte et étrange mélodie montagnarde connue sous le nom de « la grande », que les pâtres se renvoient d’une hauteur à l’autre comme un salut sympathique, un appel fraternel, un encouragement, une exhortation analogue à celle des factionnaires criant sur les remparts : « Sentinelle, prenez garde à vous ! »

Pour une réponse, le jeune garçon se trouvait pris au dépourvu. Mais cet appel lui alla au cœur : il n’était plus seul !

Le chalet de la haute Auvergne vers lequel Jean se dirigeait, s’appelle un « buron » ou « masut ». Il est d’ordinaire édifié sur un point élevé. Celui-ci, adossé à une hauteur qui bornait le plateau, était un assemblage assez confus de deux ou trois cabanes formées de troncs d’arbres et couvertes de chaume ; de fortes branches non dépouillées de leurs rameaux servaient à consolider l’agreste édifice, achevant par leurs enchevêtrements d’apporter de la confusion dans l’ordonnance de sa construction. En arrière, quelques sapins très noirs semblaient soutenir le buron et contribuaient peut-être à sa solidité. Sur la hauteur formant abri, de grands rideaux de sapins fermaient le site. Non loin du buron, à droite et à gauche, s’ébauchaient des enceintes à claires-voies où les troupeaux étaient parqués pendant la nuit.

Le « buronnier » s’était un peu avancé. D’une main, il se faisait un abat-jour pour mieux voir qui venait vers le buron. Jean ne se trouvait plus qu’à une trentaine de pas lorsque le montagnard se mit à crier :

— Hé, là ! Mais c’est mon petit Parisien !

Au même moment, Jean reconnaissait dans le brave homme le marchand de châtaignes rôties de la rue du Faubourg-Saint-Antoine — si fort en versions latines.

— Eh bien, mon petit, dit l’Auvergnat, tu es arrivé aussi vite que Villamus dans le Cantal. Mais je n’en reviens pas ! Parle donc ! Et il ajouta avec un sourire plein de finesse narquoise : Est-ce que je ne t’ai pas fait bonne mesure, dans le temps, bourgeois ? Est-ce que tu viens pour réclamer ton surplus ? J’ai quitté les affaires, tu le sais ; j’ai passé la queue de la rôtissoire à Mathurin…

Le jeune garçon très heureux de cette rencontre, mais à bout de forces, ne pouvait rien répondre et, pâlissant, il tendit à l’ami Villamus une main tremblante, dont celui-ci s’empara en s’écriant :