Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/144

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Panurge, délivré de ses dettes, et voyant fuir sa jeunesse, songea à se marier, et consulta à ce sujet son maître Pantagruel, ne voulant agir que sur son avis.

— J’en suis d’avis, répondit Pantagruel, et vous le conseille.

— Mais, si vous croyez que le meilleur soit de demeurer comme je suis, j’aimerais mieux ne me point marier.

— Ne vous mariez donc point.

— Voire, mais voudriez-vous que je demeurasse ainsi seulet toute ma vie, sans compagnie conjugale ? Vous savez qu’il est écrit : Væ soli. L’homme seul n’a jamais tel contentement qu’on voit entre gens mariés.

— Mariez-vous donc, de par Dieu !

— Mais si ma femme me faisait… Vous savez qu’il en est grande année.

— Ne vous mariez donc pas, car la sentence de Sénèque est véritable et ne souffre point d’exception : Ce qu’à autrui tu auras fait, sois certain qu’autrui te le fera.

— Voire, mais puisque je ne puis pas plus me passer de femme qu’un aveugle d’un bâton, n’est-ce pas le mieux que je m’associe quelque honnête et prude femme ?

— Mariez-vous donc !

— Mais, si Dieu voulait que ma femme me battît, je serais plus patient que Job si je n’enrageais tout vif.