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XXV

NOUVELLE-HOLLANDE

Mœurs des sauvages — Duels. — Mariages. — Galanteries de l’époux. — Férocité des naturels. — Leur mort.

J’ai parfaitement compris la sauvagerie des naturels de la presqu’île Pérou, parce que là, sur cette terre de misère et de mort dont je vous ai tant parlé, il n’y a rien dans les airs ni dans les eaux, qui puisse même laisser l’espérance d’une journée sans travail, sans fatigue, sans douleur. Tout être vivant a besoin de nourriture ; eh bien ! sur cette presqu’île de malheur, de désespoir, l’infortuné que l’enfer y a jeté dans sa colère doit être rude, farouche, âcre, comme tout ce qui l’entoure et le cercle.

Il n’y a près de là ni fertilité, ni ruisseaux, ni bourgades, ni villes, ni civilisation, et tout y est incompris, excepté la soif et la famine. Mais ici, près du port Jakson, sur une terre magnifiquement parée, sous un ciel généreux, quoique fantasque, en présence du luxe et des bienfaits d’une grande et noble cité, ce que nul ne saurait expliquer, c’est l’existence des hordes sauvages qui vivent et hurlent dans les bois et sur les montagnes, sans que rien de ce qui fait chez nous la vie commode et heureuse ait jamais pu les tenter.

Est-ce habitude, paresse, soif de toute indépendance, qui jette ces êtres si étranges dans les vastes solitudes ? Est-ce la longue habitude de vagabondage qui leur a fait regarder en mépris les utiles demeures que nous nous bâtissons ? ou voudraient-ils, avec leur stupide dédain, nous convaincre qu’ils se croient nos égaux, sinon nos maîtres ?