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XXXV

ÎLES MALOUINES

Chasse aux pingouins. — Mort d’une baleine. — Départ. — Arrivée au Rio-de-la-Plata. — Pampéro.

Le malheur sans remède est celui qu’on supporte le mieux, et maintenant que l’espoir de relever la corvette est anéanti à jamais, il nous semble que nous sommes, en effet, moins à plaindre. L’incertitude est un tourment de chaque minute ; elle ne vous laisse d’énergie que pour la saisir dans ce qu’elle a de poignant, car c’est toujours ce que vous craignez le plus de voir arriver qui vous obsède et vous brûle. L’incertitude est plus une faiblesse qu’un sentiment ; ce sont, si vous voulez, deux forces à peu près égales qui vous pressent dans un étau sans que vous puissiez résister à l’une d’elles. L’incertitude est toujours un malheur, la résignation à une catastrophe est une vertu, et toute vertu console.

Cependant le premier cheval si vaillamment tué par le poltron Clément nous donna à penser que l’intérieur de l’île en cachait encore, et des courses lointaines furent ordonnées.

L’éléphant de mer était presque épuisé, ses chairs fétides ne nous inspiraient plus que du dégoût, et quoique le pingoin soit une des plus épouvantables viandes huileuses et puantes que l’on puisse trouver, il fallut bien, de gré ou de force, que nous l’engloutissions dans notre estomac creusé par le besoin et que rien ne pouvait rassasier.

Les oies étaient devenues tellement sauvages, nous en avions immolé une si grande quantité que nous dûmes bientôt les regarder comme une ressource perdue. Les plongeons, les phoques et les lions de mer nous venaient parfois en aide ; mais la saison avancée chassait déjà de la