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XXXVII

BRÉSIL

Le Gaoucho.

Il est petit, trapu, maigre, osseux, anguleux ; on dirait un homme inachevé, et c’est pourtant le plus complet des hommes. Si vous l’étudiez, vous ne tardez pas à vous apercevoir que tout est vigueur, résolution, intrépidité, intelligence chez lui.

Il parle peu et par monosyllabes : mais son langage est tout dans ses yeux. Là est sa parole à lui, là est sa puissance.

Le Gaoucho étonne du premier abord, et l’on se dit : « Voilà une charpente qui s’écroule, qui va tomber. »

Le Gaoucho marche, et vous trouvez la force et la vie où vous n’aviez aperçu que la faiblesse et la mort.

Il faut regarder parler un Gaoucho et non l’entendre pour le juger ; il faut surtout le regarder quand il vous dit certaines choses relatives à ses déserts, à ses plaines, à ses forêts, aux terribles ennemis qu’il a l’habitude de combattre. .

Le Gaoucho alors n’est pas seulement un homme comme vous et moi, c’est un maître, un dominateur ; il a dix coudées au-dessus des têtes communes, et il plane sur nous comme l’aigle sur l’espace.

Quand le Gaoucho est calme, c’est le lion qui s’est repu, c’est la cataracte que l’hiver a arrêtée dans sa chute. Mais que sa faim se réveille, mais que le soleil brise la glace… oh ! alors le désert est envahi, et comme tout fui ! et tremble devant la cataracte ou le lion, tout tremble aussi devant le Gaoucho.