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chapitre dix-huitième.

nemi attendit en vain et dévora sa menace. Dans cette lutte contre le donatisme, les questions étaient très-simples, et d’autres paroles que celles des évêques et des prêtres catholiques pouvaient servir à ramener le peuple à l’unité. Un rôle utile était réservé aux influences de la fortune ou de la naissance, à l’autorité morale que les maîtres exercent sur leurs serviteurs. Parmi les personnages de Rome qui possédaient alors en Afrique d’importants domaines, il y en avait un dont saint Jérôme a parlé comme d’un ancien condisciple et d’un ancien ami ; c’était Pammachius, époux de Pauline et gendre de Paula, pieux et lettré ; saint Jérôme lui avait écrit pour le rendre juge entre lui et Jovinien, dans les débats sur le mariage et la virginité, et lui avait écrit aussi sur la meilleure manière de traduire. Pammachius prit la peine d’expliquer la question du donatisme aux fermiers et aux laboureurs de ses terres, et les fit rentrer dans la foi catholique, L’évêque d’Hippone lui adressa une lettre de félicitation ; il lui témoignait le regret de ne pas voir son bon exemple plus fréquemment imité. Pammachius, devenu veuf, vendit son bien, dont il distribua le prix aux pauvres, embrassa le sacerdoce et mourut à Rome au moment où Alaric allait y pénétrer en vainqueur.




CHAPITRE DIX-NEUVIÈME.




Les deux conférences de saint Augustin avec Félix le manichéen.

Au moins, avec les manichéens, la polémique demeurait dans la région des idées et n’aboutissait pas à des scènes de brigandage. En 404, un manichéen renommé, appelé Félix, était venu à Hippone pour y répandre ses erreurs ; la secte le comptait parmi ses docteurs ; il ne se distinguait point par la science des belles-lettres, mais il avait plus de ruse[1] que Fortunatus, dont il a déjà été question. Félix est très-probablement ce prêtre manichéen à qui Augustin écrivit[2] dans cette même aunée (404). Le grand évêque lui disait que ses dissimulations étaient inutiles, et, qu’on le reconnaissait du plus loin qu’on le voyait. Félix espérait échapper à tout en confessant que la mort n’est autre chose que la séparation de l’âme et du corps ; mais il ajoutait qu’elle est la séparation de la bonne et de la mauvaise substance.

« Si l’âme est un bien et le corps un mal, a disait Augustin à Félix, celui qui a uni l’un à l’autre n’est pas bon ; vous dites néanmoins que c’est Dieu, et même que ce n’est pas le mauvais Dieu, mais le bon. Il faut donc qu’il o ne soit pas bon lui-même ou qu’il ait craint le mauvais Dieu. Quoi ! vous vous vantez de ne pas craindre les hommes, et vous vous forgez un Dieu que la crainte de je ne sais quelle race de ténèbres a réduit à unir le bien au mal ! » Comme on s’occupait soigneusement d’empêcher la propagation de ses doctrines, Félix se laissait aller à croire que les catholiques le prenaient pour quelque chose de grand. Augustin veut le détromper en lui rappelant le plot de saint Paul aux Philippiens : Prenez garde aux chiens[3]. Il le somme au nom de Jésus-Christ de conférer avec lui sur les points où, quelques années auparavant, il avait embarrassé Fortunatus.

Félix accepta la pressante invitation d’Augustin ; l’évêque catholique et l’élu manichéen disputèrent ensemble dans la basilique d’Hippone au milieu du peuple assemblé. Possidius[4] parle de trois conférences ; les Actes avec Félix n’en marquent que deux, qui furent recueillies par des notaires. Il est possible que Possidius donne le nom de conférence à une simple conversation préliminaire à laquelle les deux champions n’avaient pas admis le public. La première réunion eut lieu le 7 décembre 404 ; la deuxième le 12 du même mois. Les actes de ces deux jours sont consignés dans les œuvres

  1. Revue, liv. II, ch. 8.
  2. C’est l’avis des Bénédictins. Cette lettre forme la 79e de leur édition.
  3. Philip., III, 2.
  4. Chap. 16, Vita Auqustini.