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DE L’ORDRE[1].


LIVRE PREMIER.
Ce premier livre contient deux thèses : dans la première, saint Augustin enseigne que l’ordre de la divine Providence embrasse tout, les biens et les maux. — Dans la seconde, il touche quelque peu à la prééminence et à la notion de l’ordre. Une dispute qui s’élève entre ses disciples, donne au saint Docteur occasion de censurer avec sévérité leurs sentiments désordonnés, et leur puéril amour de la vaine gloire. Il ne veut point que le sexe de Monique lui ferme l’entrée de la philosophie.

CHAPITRE PREMIER.
AVANT-PROPOS.
TOUT EST RÉGI PAR LA DIVINE PROVIDENCE.

1. Rechercher l’ordre des choses, et le discerner dans ce qu’il a de particulier pour chaque être ; le découvrir et l’expliquer dans cette universalité qui embrasse et régit le monde ; c’est là, Zénobius, une tâche difficile et dont très-peu d’hommes sont capables. De plus, ce labeur fût-il au pouvoir de quelqu’un, ce qui excédera sa puissance, ce sera de trouver un auditeur que la pureté de sa vie ou une certaine dose d’instruction rendrait apte à saisir des choses aussi divines et aussi obscures. Il n’est rien cependant qui stimule l’avidité des plus grands génies ; rien que brûlent d’entendre et de pénétrer ceux qui envisagent les écueils et les orages de cette vie avec un front noblement élevé, comme cette question : comment, d’une part, Dieu prend-il soin des choses humaines, et comment, d’autre part, ces choses humaines sont-elles infectées d’une perversité si grande qu’on serait tenté de ne l’attribuer ni au gouvernement d’un Dieu, ni même au gouvernement d’un esclave, à qui l’on aurait accordé le pouvoir suprême. Dès lors, ceux qui s’occupent de ces questions se trouvent dans la nécessité de croire, ou que la divine Providence ne descend point jusqu’à ces derniers et infimes détails, ou que tout le mal se commet certainement par la volonté divine. Conclusions toutes deux impies, la seconde surtout.

Car s’il est inepte, s’il est même très-dangereux pour l’esprit, de croire que Dieu délaisse quoi que ce soit, jamais, parmi les hommes eux-mêmes, on n’a fait à personne un crime de son impuissance, et le reproche de négligence est beaucoup moins grave que l’accusation de malice et de cruauté. Aussi la saine raison, qui ne renonce pas à la piété, est comme forcée de croire que les choses terrestres ne peuvent être dirigées par le ciel, ou que le ciel les néglige et les dédaigne, plutôt que de les conduire d’une manière propre à justifier toute plainte élevée contre Dieu.

2. Mais où est l’esprit assez aveugle qui hésiterait de reporter à la puissance et à l’administration divine tout ce qu’il y a de rationnel dans le mouvement des corps qui échappent aux desseins et à la volonté de l’homme ? Il faudrait alors qu’on attribuât au hasard la conformation et la mesure si bien combinée et si ingénieuse des membres, même dans les plus petits animaux ; ou que l’effet dénié au hasard pût avoir d’autre cause que la raison ; ou même que, entraînés par de futiles et ridicules opinions, nous eussions la témérité de soustraire à la direction mystérieuse de la majesté suprême l’ordre que la nature uni-

  1. Voir hist. de S. Aug., chap. IV ; et Rétr. liv. i, chap. 3.