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LIVRE SECOND.


pourquoi, l’erreur même fait plaisir. N’est-ce pas encore là une occasion de louer l’ordre ?


CHAPITRE V.
COMMENT REMÉDIER À L’ERREUR DE CEUX QUI NE CROIENT PAS À L’ORDRE DANS LE MONDE.

14. Dans la musique, dans la géométrie, dans les mouvements des astres, dans la rigueur des nombres, l’ordre domine au point que, si l’on veut le voir dans son principe et pour ainsi dire dans son sanctuaire, c’est là qu’on le trouvera, ou par là qu’on y arrivera sans s’égarer. Dans ces sciences, en effet, rien n’est à redouter que l’excès, et celui qui s’y applique avec modération, maître ou disciple en philosophie, y puise la vigueur, prend son essor comme il lui plaît, monte et conduit à sa suite de nombreux esprits, jusqu’à cette mesure souveraine au delà de laquelle il ne peut, ni ne doit, ni ne veut plus rien connaître. De là, et quoique mêlé encore aux choses humaines, il les voit si petites, et les apprécie avec tant de justice que rien ne l’étonne. Il ne demande plus pourquoi celui-ci désire des enfants sans en avoir, tandis que celui-là s’afflige de l’excessive fécondité de son épouse ; pourquoi l’un manque de l’argent dont il est disposé à faire de grandes largesses, tandis que l’usurier sec et sordide couve son trésor enfoui ; pourquoi la luxure dévore et disperse d’amples patrimoines, lorsque les larmes d’un mendiant obtiennent à peine un denier dans toute une journée ; pourquoi l’indigne est élevé aux honneurs, tandis que des mœurs irréprochables sont cachées dans la foule.

15. Voilà, avec tant d’autres choses que présente la vie humaine, ce qui détermine la plupart des hommes à cette croyance impie, qu’il n’y a ni ordre, ni providence pour nous gouverner. D’autres mortels, pieux, bons et doués d’un brillant génie, ne peuvent se persuader que nous soyons abandonnés par le Dieu suprême. Troublés néanmoins par l’obscurité et la confusion des choses, ils ne peuvent y découvrir un ordre, et dans leur désir de connaître les causes les plus secrètes, souvent même ils recourent à la poésie[1], pour déplorer leurs erreurs. Qu’ils demandent seulement pourquoi les Italiens désirent toujours des hivers sereins, et pourquoi notre infortunée Gélulie est toujours desséchée, qui leur répondra facilement ? Qui d’entre nous s’occupera de faire des conjectures sur les motifs d’une telle disposition ? Pour moi, si je puis donner un avis à ceux qui me sont chers, je crois, au moins selon mes vues et mon sentiment, qu’ils doivent s’appliquer à l’étude de toutes les sciences[2]. Car il est impossible autrement de comprendre toutes ces questions et d’en voir la solution plus clairement qu’on ne voit la lumière elle-même. Mais si leur esprit est trop lent, ou trop occupé d’autres affaires, ou trop peu capable d’étudier encore, qu’ils se préparent un appui dans la foi, et Celui qui ne laisse périr aucun de ceux qui croient docilement les mystères sur sa parole, les attirera à lui par ce moyen, et les délivrera de ces épaisses et horribles ténèbres.

16. En effet, pour échapper à l’obscurité, deux routes s’ouvrent à nous : la raison ou au moins l’autorité. La philosophie promet la raison, et c’est avec peine encore que très peu sont affranchis par elle ; elle seule cependant force, non-seulement à ne pas dédaigner ces mystères, mais à les comprendre tels qu’ils doivent être compris. La vraie, et pour ainsi parler, la pure philosophie n’a d’autre affaire que d’enseigner quel est le Principe de toutes choses qui n’a point de principe ; combien grande est la pensée qui demeure en Lui, et ce qui est descendu de Lui pour notre salut sans aucune altération. C’est ce Dieu unique, Tout-puissant et trois fois puissant. Père, Fils et Saint-Esprit que nous enseignent les augustes mystères, dont la foi sincère et inébranlable est pour les peuples un principe de délivrance ; et dans cet enseignement, il n’y a ni confusion, comme quelques-uns le prétendent, ni outrage à la raison, comme beaucoup le soutiennent. Quelle grandeur, qu’un Dieu si grand ait daigné s’incarner et vivre dans un corps de même nature que le nôtre ! Plus on voit d’abaissement dans cet acte, plus il surabonde de clémence, et condamne cet orgueil qui est propre aux savants.

17. Mais quelle est l’origine de notre âme ? que fait-elle ici-bas ? quelle distance la sépare de Dieu ? quelle est cette propriété qui l’applique à des œuvres de deux natures différentes ? jusqu’à quel point est-elle mortelle,

  1. Allusion au poème de Zembrus mentionné plus haut, liv. 1, chap. 7, n. 20.
  2. Rét., liv. 1, chap. 3, n. 2.