Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/330

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mauvaise ? — E. Pour moi je crois qu’elle est un bien. — A. Tu as parfaitement raison, c’est par elle que la science nous est donnée ou qu’elle s’éveille[1] en nous ; et personne, sans instruction, ne connaît quoi que ce soit. Es-tu d’un autre sentiment ? — E. Je pense que l’instruction ne nous apprend que le bien. — A. Vois donc si on ne s’instruit pas du mal ; car instruction vient d’instruire. — E. Mais si le mal ne s’apprend pas, d’où vient que les hommes le font ? — A. Cela vient peut-être de ce qu’ils se détournent de l’instruction et qu’ils y deviennent étrangers ; mais que telle soit la vraie raison, ou qu’il yen ait une autre, peu importe. Puisque l’instruction est un bien, et que le mot lui-même ne signifie pas autre chose que apprendre, il demeure acquis manifestement que le mal ne peut s’apprendre. Car s’il s’apprenait, il serait contenu dans l’instruction, et alors l’instruction ne serait plus un bien ; mais elle est un bien, tu l’as admis toi-même. Le mal ne s’apprend donc pas, et c’est en vain que tu cherches un maître qui nous aurait appris à le commettre. Ou bien, si on nous l’apprend, c’est pour nous enseigner à l’éviter, et non pas à le faire ; et il s’ensuit que faire le mal n’est rien autre chose que renoncer à l’instruction. 3. E. Maintenant je suis d’avis qu’il y a deux sortes d’instructions ; par l’une on nous apprend à faire le bien, par l’autre, à commettre le mal. Tout à l’heure lorsque tu m’as posé cette question : l’instruction est-elle un bien, ? j’étais préoccupé par l’amour même du bien, je n’avais en vue que l’instruction qui nous apprend à bien faire, et c’est de celle-ci que j’ai dit dans ma réponse : elle est un bien. Maintenant je m’aperçois qu’il y en a une autre ; j’affirme sans aucune espèce de doute, que celle-là est un mal ; et je te demandé qui en est l’auteur. — A. Admets-tu au moins que l’intelligence soit un bien sans mélange ? — E. Pour cela, je l’admets pleinement ; je ne vois pas ce qu’on pourrait trouver dans l’homme de meilleur que l’intelligence ; et il ne me paraît pas possible de dire qu’aucune intelligence puisse être mauvaise, à aucun point de vue. — A. Eh bien ! quand on instruit un homme, s’il n’a pas l’intelligence de ce qu’on lui enseigne, pourras-tu dire qu’il s’instruit véritablement ? — E. Je ne le pourrai. — A. Alors, si d’une part toute intelligence est bonne, si de l’autre personne ne s’instruit sans intelligence, il s’ensuit que quiconque s’instruit, fait bien ; car celui qui s’instruit, comprend, et celui qui comprend, fait bien. Donc, chercher l’auteur de notre instruction, c’est chercher l’auteur par qui nous faisons le bien. N’essaie donc plus de trouver je ne sais quel docteur mauvais. S’il est mauvais, il n’est pas docteur ; et s’il est docteur, il n’est pas mauvais.

CHAPITRE II.

AVANT DE RECHERCHER L’ORIGINE DU MAL, IL FAUT SAVOIR CE QUE NOUS DEVONS CROIRE SUR DIEU.

4. E. Me voilà suffisamment forcé d’avouer que nous n’apprenons pas à faire le mal ; fais-moi donc connaître l’origine du mal. — A. Tu soulèves une question qui m’a violemment agité dès ma première jeunesse ; c’est elle qui, de guerre lasse, m’a poussé vers les hérétiques et m’a précipité dans l’hérésie. Cette chute me brisa, et je demeurai comme ; écrasé sous le monceau de leurs fables et dé leurs vaines erreurs. Jamais je n’aurais pu me relever, si le désir de trouver la vérité ne m’avait obtenu le secours de Dieu ; je ne pourrais même plus respirer du côté de la première des libertés : celle de chercher. Comme ma délivrance s’est opérée de la manière la plus sérieuse, je parcourrai avec toi, dans l’examen de cette question, le chemin que j’ai moi-même suivi et qui m’a fait aboutir. Dieu interviendra pour nous faire comprendre ce que nous croyons, car nous avons ainsi la certitude de suivre la marche prescrite dans ce texte du Prophète : a Si vous ne croyez d’abord, vous « ne comprendrez pas[2]. » Nous croyons donc que tout ce qui est a Dieu pour auteur, et que cependant Dieu n’est pas l’auteur des péchés[3] : Mais voici ce qui trouble notre esprit : si les âmes que Dieu a faites sont les auteurs des péchés, si ces âmes ont Dieu pour auteur, comment ne pas voir une relation de cause assez étroite entre le péché et Dieu ? 5. E. Tu as parfaitement exprimé ce qui fait le tourment de ma pensée, ce qui m’a contraint et entraîné à scruter ce problème. —

  1. Se rappeler la doctrine de saint Augustin dans le livre du Maître.
  2. Is. VI, 9, selon les LXX
  3. Il n’y a pas ici de contradiction dans les termes, ni de paradoxe même apparent. D’après la doctrine de saint Augustin, développée ailleurs, notamment dans les Confessions, le péché n’est pas une chose qui est, c’est la privation de ce qui devrait être.