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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/360

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les corps, ne sont pas atteints par sa chaleur, mais seulement inondés de la lumière des nombres. Peut-être cela te semble-t-il obscur. C’est qu’il n’y a point de comparaison prise des choses visibles qui puisse parfaitement s’adapter aux choses invisibles. Mais contente-toi du résultat suivant, qui suffit à la question posée, et qui est évident même pour des esprits inférieurs, tels que nous sommes ; bien que nous ne puissions voir clairement si le nombre existe par la sagesse ou subsiste en elle, ou réciproquement si c’est la sagesse qui existe par le nombre ou qui subsiste en lui, il n’en demeure pas moins de toute évidence que l’une et l’autre sont vrais et d’une vérité inaltérable.



CHAPITRE XII. LA VÉRITÉ EST UNE ET INALTÉRABLE DANS TOUTES LES INTELLIGENCES, ET ELLE EST SUPÉRIEURE A NOTRE ESPRIT.

33. Tu ne songerais donc point à le nier ; il est une vérité inaltérable, dans laquelle sont contenues toutes ces choses inaltérablement vraies ; et tu ne peux dire d’elle qu’elle est à toi ou à moi, ni à aucun homme en particulier ; mais par des modes merveilleux, comme une lumière à la fois secrète et publique, elle se présente et s’offre en commun à tous ceux qui voient les vérités inaltérables. Or, une chose quelconque qui se présente en commun à tous ceux qui usent de leur raison et de leur intelligence, peux-tu dire qu’elle appartient en propre à la nature de quelqu’un d’entre eux ? Tu te souviens, je pense, de ce que nous avons dit en traitant des êtres corporels : les objets que nous percevons en commun par les sens de la vue et de l’ouïe, comme les sons et les couleurs, que nous voyons et entendons ensemble, toi et moi, n’appartiennent pas à la nature de nos yeux ni de nos oreilles ; mais elles nous sont communes par rapport à la perception de nos sens. De même donc aussi, ces objets que nous voyons en commun, toi et moi, chacun avec notre esprit, ne peuvent, tu l’avoueras, appartenir à la nature de l’esprit de l’un de nous deux, car l’objet vu simultanément par les yeux de deux personnes, tu ne peux dire qu’il soit les yeux de l’un ou de l’autre, mais c’est une chose tierce vers laquelle convergent les regards de tous les deux. — E. Cela est très-clair et très-vrai. 34. A. Maintenant, qu’en penses-tu ? cette vérité, dont nous parlons depuis déjà longtemps, et qui, unique, nous fait voir tant de choses en elle, est-elle supérieure, égale ou inférieure à nos esprits ? D’abord, si elle, lent était inférieure, nous ne jugerions pas d’après elle, mais nous la jugerions elle-même, comme nous jugeons des corps, parce qu’ils nous sont inférieurs, en disant d’eux : ils sont ou ne sont pas de telle ou telle manière, mais ils devraient être de telle ou telle autre. Et il en est de même pour nos âmes. Nous disons de notre âme, non-seulement qu’elle est de telle manière, mais souvent qu’elle devrait être de telle autre. Nous jugeons ainsi des corps lorsque nous disons, par exemple : tel corps n’est pas assez blanc ou assez carré, etc. ; et des âmes, en disant : celle-ci n’est pas aussi capable qu’elle devrait l’être ; ou aussi douce, ou aussi courageuse, suivant la raison qui doit nous conduire. Et nous prononçons ces jugements d’après les règles intérieures de la vérité, que nous voyons les uns et les autres. De ces règles, au contraire, personne ne se fait juge en aucune façon, En effet, lorsqu’on dit que les choses éternelles sont préférables aux temporelles, ou que sept et trois font dix, personne ne dit qu’il en devait être ainsi, mais chacun, connaissant qu’il en est ainsi en réalité, ne vient pas, comme un examinateur, redresser ces maximes, mais s’en réjouir comme ferait un inventeur. De plus, si cette vérité était égale à nos esprits, elle serait changeante comme eux. En effet, nos âmes la voient tantôt plus, tantôt moins, et elles se déclarent ainsi changeantes, tandis que la vérité demeurant en elle-même n’augmente pas quand nous la voyons plus, ni ne diminue quand nous la voyons moins ; niais toujours entière et inaltérée, elle réjouit de sa lumière ceux qui se tournent vers elle, et punit de la cécité ceux qui se détournent d’elle. Bien plus, c’est d’après elle que nous jugeons nos propres esprits, sans que jamais nous puissions la juger elle-même ; car nous disons : tel esprit ne comprend pas autant qu’il faut, ou il comprend autant qu’il doit. Or, un esprit comprend autant qu’il doit comprendre, lorsqu’il s’approche aussi près et qu’il adhère autant que possible à la vérité. Donc si elle n’est ni inférieure, ni égale à nos esprits, elle leur est supérieure et meilleure qu’eux.