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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/375

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CHAPITRE V. ON DOIT MÊME LOUER DIEU D’AVOIR PRODUIT LES CRÉATURES EXPOSÉES AU PÉCHÉ ET A LA SOUFFRANCE.

12. Tu as demandé en troisième lieu comment il est possible de n’attribuer pas au Créateur ce qui arrive inévitablement à ses créatures. Cette objection trouvera facilement une réponse dans cette règle de piété dont nous devons nous souvenir et qui nous oblige à rendre à notre Créateur des actions de grâces. La justice nous obligerait encore à louer son immense bonté, s’il nous avait placés à un rang inférieur dans la création. En effet, quoique notre âme soit souillée par le péché, elle est toutefois d’une nature plus élevée et meilleure que si elle devenait cette lumière qui éclaire nos yeux. Et pourtant combien d’âmes même attachées aux sens, louent Dieu de la beauté de cette lumière ? Donc ne t’étonne pas si on blâme celles qui pèchent et ne dis pas en ton cœur que mieux vaudrait qu’elles ne fussent pas. On les blâme en les comparant avec elles-mêmes, parce qu’on voit ce qu’elles seraient si elles avaient résisté au péché. Mais leur Créateur divin doit être cependant béni avec transport, autant que l’homme en est capable, non-seulement parce que sa justice les fait rentrer dans l’ordre quand elles pèchent, mais encore parce que, toutes souillées qu’elles soient, la nature qu’il leur a donnée les élève bien au-dessus de cette lumière corporelle pour laquelle, néanmoins, on le loue à juste titre. 13. Prends garde encore de dire, sinon que mieux vaudrait qu’elles ne fussent pas, du moins qu’elles devraient être autrement. Sache en effet que le divin auteur de tout bien a fait tout ce que suppose de mieux une idée véritable. Or rie vouloir rien à des degrés inférieurs quand on voit des créatures d’un rang plus élevé, ce n’est pas une idée vraie, c’est une infirmité jalouse. Ainsi ne serait-il pas bien injuste, quand on voit le ciel, de regretter que la terre fût faite ? Tu pourrais le regretter si tu voyais une terre et point de ciel ; tu pourrais dire que cette terre aurait dû être semblable à ton ciel imaginaire. Mais puisque tu vois en réalité ce ciel à l’idée duquel tu aurais voulu voir formée la terre, quoiqu’il n’en porte pas le nom, dois-tu trouver mauvais qu’au-dessous de ce ciel dont tu,jouis, il y ait une création d’un rang inférieur que l’on nomme la terre ? Sur cette terre même il y a entre ses parties des variétés si multiples, qu’on n’y peut imaginer aucun ordre de beauté que n’ait réalisé dans toute son étendue le Dieu qui a tout fait. Depuis la terre la plus féconde et la plus agréable à l’œil, jusqu’à la terre la plus desséchée et la plus stérile, combien de terrains intermédiaires et dont on ne saurait mépriser aucun si ce n’est en le comparant à un meilleur ? Tu peux ainsi t’élever jusqu’à Dieu par différents degrés de louanges, et tu regretterais même qu’il n’y eût que la meilleure espèce de terrain. Mais entre la terre et le ciel quelle distance ! J’y vois les éléments liquides et gazeux ; et les quatre éléments réunis se diversifient en des espèces et des formes si multipliées, que le nombre, connu de Dieu, ne saurait nous être connu à nous-mêmes. Il est donc possible qu’il y ait, dans une variété si grande, ce que ne suppose pas ta raison ; mais il est impossible qu’il n’y ait pas ce que se représente une idée vraie. Pourrais-tu imaginer parmi les créatures une amélioration qui ait échappé au Créateur ? L’âme humaine est unie naturellement aux idées éternelles dont elle dépend, et quand elle dit : Ceci vaudrait mieux que cela, si elle dit vrai, si elle voit réellement ce qu’elle dit, elle le voit dans ces idées auxquelles elle est unie. Donc elle doit croire que Dieu a fait ce que la vérité lui démontre qu’il a dû faire, quand même elle ne le distinguerait point parmi les êtres. Admettons qu’un homme ne puisse voir le ciel ; si une raison fondée sur la vérité lui prouve que Dieu a dû faire quelque chose de semblable, il doit se persuader que Dieu l’a fait, quoiqu’il ne le voie pas. Verrait-il en effet que le ciel a dû être fait, si ce n’est dans ces idées éternelles d’après lesquelles tout a été fait ? Et ce qui n’est point dans ces idées est aussi impossible à comprendre réellement qu’il est dépourvu de vérité. 14. Ce qui trompe la plupart des hommes, c’est qu’en se figurant des choses meilleures, ils ne cherchent pas à les voir à la place qui leur convient. Ainsi, par exemple, voici un homme qui se fait une idée exacte de la rondeur, et il se fâche de ne la point trouver dans une noix, parce qu’en fait de corps rond, il n’a jamais vu que ce fruit. Ainsi en est-il qui