Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/381

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quelque manière à la beauté de l’univers ; il faut enfin que la peine du péché en répare la honte. 27. De là vient qu’un être supérieur qui prévarique doit être puni par le moyen des êtres inférieurs : ceux-ci, en effet, sont si infimes, qu’ils peuvent être relevés même par les âmes d’ignominie et contribuer à l’harmonie générale. Qu’y a-t-il dans une maison d’aussi grand qu’un homme, d’aussi abject et d’aussi vil que l’égoût ? Lors néanmoins qu’un esclave est surpris commettant une faute pour laquelle il mérite d’être condamné à le nettoyer, n’y a-t-il pas, dans cette condamnation humiliante, une certaine convenance ? et en rapprochant de l’acte ignominieux imposé à cet esclave l’indignité de sa faute, ne voit-on pas une sorte de beauté qui s’harmonise parfaitement avec l’ordre parfait qui règne dans toute la maison ? Si néanmoins l’esclave n’eût pas voulu faillir à son devoir, l’administration domestique n’eût pas manqué d’autres moyens de faire exécuter ce qu’il fait. Qu’y a-t-il aussi dans la nature de plus infime que notre corps de boise ? A ce corps de boue néanmoins convient si bien notre âme, même quand elle pèche, qu’elle lui communique, outre le mouvement et la vie une beauté parfaitement en rapport avec sa nature. Cette âme, à cause du péché, ne doit pas habiter au ciel, elle doit habiter en terre à cause du châtiment qu’elle mérite. Ainsi, quelque choix quelle fasse, l’univers restera beau dans chacune de ses parties ; on verra que le Créateur le gouverne toujours. Si les âmes vertueuses habitent parmi les êtres infimes, elles n’y jettent point d’éclat par leurs souffrances, puisqu’elles n’y sont pas condamnées, elles y en jettent par le bon usage qu’elles en font. Mais il ne serait pas beau de permettre aux âmes coupables de demeurer au séjour de la gloire ; elles ne conviennent pas dans ces régions célestes où elles ne peuvent ni faire le bien, ni répandre aucun éclat. 28. Aussi, quoique ce bas monde soit réservé aux choses corruptibles, il reflète autant qu’il en est capable l’image du monde supérieur, il ne cesse de nous offrir des enseignements et des exemples. Je suppose que nous voyions un homme de bien et de grand caractère laisser dévorer son corps par les flammes pour obéir au devoir et à l’honneur ; nous ne dirions point que c’est un châtiment, mais un témoignage de force et de patience ; malgré l’horreur de ses plaies nous l’aimerions plus que s’il n’avait rien à endurer de semblable, car nous considérerions avec admiration comment le changement produit dans son corps ne fait paraître aucun changement dans son âme. Mais si c’est un brigand cruel que nous voyons en proie à un pareil supplice, nous applaudissons à la justice des lois, en sorte que dans les tourments de ces deux hommes, il y a quelque chose de beau ; dans les uns, la beauté de la vertu et dans les autres la beauté du châtiment. Je suppose encore qu’après ou avant d’avoir passé par le feu, cet homme de bien nous apparaisse transformé comme il faut l’être pour habiter au ciel et que sous nos yeux il s’élève vers les astres, ne serions-nous pas dans la joie ? Qui d’entre nous au contraire ne serait blessé si nous voyions le scélérat monter au ciel soit après soit avant son supplice, et tout en conservant la même perversité de volonté ? Au lieu donc que tous deux peuvent jeter quelqu’éclat dans ce bas monde, à un seul d’entre eux il convient d’habiter le monde supérieur. Remarquons en cet endroit que si cette chair condamnée à mort convenait au premier homme en punition de sa faute, elle convenait aussi à Notre-Seigneur pour nous en délivrer dans sa miséricorde. Néanmoins si le juste en demeurant fidèle à la justice a pu être revêtu d’un corps mortel, il ne s’ensuit pas que le pécheur en restant pécheur puisse parvenir à l’immortalité des saints, en d’autres termes à l’immortalité de la gloire et des anges, non de ces anges dont l’Apôtre a dit. « Ignorez-vous que nous devons juger les anges[1] ? » mais de ceux dont le Seigneur parle dans ce passage : « Ils seront égaux aux anges de Dieu (2). » Ceux en effet qui par vanité désirent cette égalité avec les anges, veulent plutôt que les anges leur deviennent semblables que de devenir eux-mêmes semblables aux anges. Aussi en demeurant dans de telles dispositions ils partageront les supplices de ces anges prévaricateurs qui aiment mieux être leurs propres maîtres que de relever de Dieu tout-puissant ; car ils seront placés à la gauche, pour n’avoir pas cherché Dieu en passant par l’humilité que Notre-Seigneur Jésus-Christ a montrée en sa personne, pour avoir vécu sans compassion et avec orgueil, puis il leur sera dit : « Allez au

  1. 1. I Cor. VI, 3. — 2. Luc. XX, 36.