Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/386

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Est-ce une nature égale qui résiste aux assauts d’une égale nature ? La corruption est encore impossible ; car dès qu’une nature viciée cherche à corrompre une nature qui ne l’est pas, elle n’est plus de force égale, son vice la rend plus faible. Est-ce enfin une nature plus puissante qui corrompt une nature qui l’est moins ? Le fait doit être attribué à toutes deux, s’il y a eu passion de part et d’autre ; ou à la plus puissante, lorsque malgré sa corruption elle l’emporte encore sur la plus faible qu’elle parvient à vicier. Eh 1 qui aurait droit de condamner les fruits de la terre, lorsque les hommes en mésusent et que corrompus eux-mêmes par leur propre faute ils les corrompent en en abusant pour enflammer leurs passions ? Ne faudrait-il pas néanmoins avoir perdu la raison pour douter que l’homme, même vicieux, est d’une nature plus excellente et plus forte que les fruits de la terre lors même qu’ils ne sont point gâtés ? 40. Il peut arriver encore qu’une nature plus forte corrompe une moindre nature, sans qu’il y ait vice d’aucun côté ; nous entendons toujours par vice ce qui est digne de blâme. Qui oserait effectivement jeter le blâme soit sur l’homme frugal qui ne cherche dans les aliments que l’indispensable soutien de la nature, soit sur les fruits qui se corrompent quand il les mange ? Ici même on n’emploie pas ordinairement le mot de corruption ; il sert surtout à désigner. le vice. Car, il est facile de le remarquer dans ce qui arrive continuellement. ce n’est pas toujours pour satisfaire à ses propres besoins qu’une nature plus élevée corrompt une nature inférieure. C’est tantôt pour faire justice, pour venger des crimes ; et pour ce motif l’Apôtre a dit : « Si quelqu’un corrompt le temple de Dieu, Dieu le corrompra (1) ; » c’est tantôt en vertu même de l’ordre établi parmi les choses muables qui doivent fléchir l’une devant l’autre, selon les degrés de force accordés à chacune par les sages lois qui régissent l’univers. Si par la force même de sa lumière, le soleil corrompt des yeux trop faibles pour en soutenir l’éclat, s’imaginera-t-on qu’il l’a fait pour ajouter à son insuffisance ou parce qu’il y a en lui quelque défaut ? Ou bien encore jettera-t-on le blâme sur les yeux pour avoir obéi à leur maître en s’ouvrant en face de la lumière, ou enfin sur là lumière pour les avoir brûlés ?

1. I Cor. III, 17.

Ainsi, de toutes les corruptions, il n’y a pour mériter proprement le nom de corruption que celle qui est vicieuse ; pour les autres, il ne faut pas les appeler ainsi, ou bien n’étant pas vicieuses elles ne sauraient mériter de blâme. Le blâme en. effet ne convient, n’est réservé qu’au vice, et l’on croit que le mot latin correspondant, vituperatio, vient de vitio parata, préparé au vice. 41. Mais j’avais commencé à le dire : le vice est un mal, uniquement parce qu’il est contraire à la nature qu’il attaque. N’est-ce pas une preuve manifeste que la nature dont on blâme le vice est digne d’éloge, et que cette censure des vices est la gloire des natures qu’ils dégradent ? Car les vices étant contraires à la nature, ne sont-ils pas d’autant plus vices qu’ils lui ôtent davantage ? et les blâmer n’est-ce pas exalter l’objet que l’on voudrait voir intact dans sa nature ? Quand, en effet, une nature est parfaite, elle est, dans son genre, digne d’éloge, non de blâme ; et si l’on. appelle vice ce qui manque à sa perfection, si on blâme l’imperfection de cette nature parce qu on voudrait la voir parfaite, n’est-ce pas un témoignage suffisant qu’on la trouve belle, considérée en elle-même ?



CHAPITRE XV. DÉFAUTS COUPABLES ET DÉFAUTS NON COUPABLES.

42. Si donc la condamnation des. vices est en quelque sorte la glorification des natures mêmes qu’ils affectent, combien plus doivent-ils exciter à louer Dieu, le Créateur de toutes les natures ! N’est-ce pas de lui qu’elles tiennent l’existence ? Leurs défauts ne sont-ils pas en proportion de leur éloignement de. l’art divin sur lequel elles sont faites ? Peut-on les blâmer sans voir cet art, puisqu’on ne blâme en elles que ce qui s’en écarte ? Et si cet art, d’après lequel tout a été fait, c’est-à-dire la souveraine et immuable sagesse de Dieu, a une existence véritable et suprême, comme on n’en peut douter, considère la direction que prend tout ce qui s’en éloigne. Ce défaut néanmoins ne serait pas condamnable, s’il n’était volontaire. Car, je te le demande, blâme-t-on ce qui est comme il doit être ? Je ne crois pas ; le blâme, au contraire, est réservé à ce qui n’est point comme il doit. Or personne ne doit ce qu’il n’a pas reçu,