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CHAPITRE XXI. QUELLE SORTE D’ERREUR EST PERNICIEUSE.

59. Mais auquel de ces quatre sentiments faut-il s’arrêter sur l’origine des âmes ? Sont-elles transmises par la génération, ou se forment-elles seulement à la naissance de chacun ? préexistent-elles quelque part et sont-elles envoyées par Dieu dans les corps de ceux qui naissent, ou bien y descendent-elles spontanément ? Nous ne devons donner la préférence à aucune de ces quatre opinions. Car, ou bien les commentateurs catholiques des Livres divins n’ont pas encore développé et éclairci cette question comme le comportent son obscurité et sa difficulté, ou s’ils l’ont fait, leurs écrits ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Contentons-nous d’avoir une foi ferme sur la substance du Créateur, n’admettant aucune opinion fausse et indigne de lui. Car c’est vers lui que tendent nos pieux efforts ; et si nous avions de lui des idées différentes de ce qu’il est, nos efforts mêmes nous dirigeraient forcément vers la vanité et non vers la Béatitude. Quant à la créature, lors même que nous aurions sur elle des opinions qui ne seraient pas conformes à la réalité, pourvu que nous ne les adoptions pas comme certaines et évidentes, il n’y a aucun danger pour nous. En effet, ce n’est pas vers la créature, mais bien vers le Créateur lui-même qu’il nous est ordonné de tendre pour devenir heureux ; et si nous avions sur lui des convictions qu’il ne faut pas avoir et contraires à la réalité, nous serions dans l’illusion de l’erreur la plus pernicieuse. Car personne ne peut arriver à la vie bienheureuse, en poursuivant ce qui n’est pas, ou ce qui ne peut donner le bonheur. 60. Mais pour nous mener de cette vie temporelle à la contemplation et à l’intime jouissance de l’éternelle vérité, Dieu a préparé un moyen à notre faiblesse ; c’est de croire du passé et de l’avenir ce qui suffit au grand trajet vers l’éternité ; et pour donner à cette règle de foi une autorité plus puissante, la divine miséricorde la maintient elle-même. Quant à la connaissance des choses présentes, ce sont les mouvements et les impressions produites dans notre corps et dans notre âme qui nous les font sentir à leur passage ; et sans ces impressions il nous est impossible d’en avoir aucune idée. Ainsi donc lorsque fondé sur l’autorité divine on nous propose de croire ce qu’était dans le passé, ce que deviendra dans l’avenir une créature quelconque ; quoique nos sens n’aient pu nous rendre compte de ce passé qui était avant eux, et qu’ils ne puissent nous faire percevoir cet avenir qui n’est pas encore, il faut y ajouter foi sans la moindre hésitation, parce que c’est un moyen puissant de fortifier en nous l’espérance et d’encourager la charité en nous montrant combien Dieu prend soin de notre délivrance dans le cours régulier des temps. Or le moyen de démasquer l’erreur qui cherche à se couvrir du manteau de l’autorité divine, c’est surtout de lui prouver qu’elle admet le changement ailleurs que dans les créatures sorties des mains divines, qu’elle le porte même dans la divine substance, et que la Trinité n’est pas d’une manière adéquate la nature de Dieu (1). A quoi s’occupe la vigilance chrétienne, à quoi s’appliquent tous les progrès qu’elle a faits, sinon à comprendre avec piété et réserve ce mystère de l’auguste Trinité ? Mais ce n’est point le moment de traiter de l’unité et de l’égalité qui lient entre elles les divines personnes, ni des propriétés qui distinguent chacune. Si d’ailleurs il était facile, pour soutenir la foi chrétienne et pour seconder avantageusement la piété naissante qui cherche à prendre son essor de la terre vers le ciel, de montrer dans le Seigneur notre Dieu l’auteur, le formateur et le modérateur dé toutes choses ; si plusieurs l’ont fait sous toutes les formes : il n’est pas aussi aisé de traiter à fond toute cette question de la Trinité, de la présenter dans cette vie avec assez d’éclat pour lui soumettre toutes les intelligences. Est-il un homme qui soit capable, je ne dis pas de l’expliquer par ses paroles, niais de la comprendre par ses pensées ? Nous du moins nous ne croyons cette tâche ni facile ni aisément abordable. Maintenant donc pour accomplir notre dessein dans la mesure des forces qui nous sont données ; croyons aussi sans hésiter ce qu’on nous demande de croire, soit pour le passé, soit pour l’avenir, touchant la créature elle-même, et ce qui est propre à montrer la pureté de la religion en nous excitant à l’amour sincère de Dieu et du prochain. S’il faut nous défendre contre les impies, écrasons leur infidélité

Allusion aux rêveries des Manichéens.