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DE LA MUSIQUE.


des musiciens, au même titre que Platon bannit les poètes de sa république ou refuse le nom d’orateurs à ces discoureurs qui ne savent pas allier la philosophie à l’éloquence. Leur art n’est qu’une pure imitation : la science et ses principes éternels leur échappent. Ils sont artistes à peu près comme le rossignol; ce sont des gosiers sonores que l’exercice assouplit et que fait mouvoir l’amour d’un vil salaire ou de vains applaudissements.

Telles sont les conclusions de cette longue discussion où l’on retrouve la dialectique, les principes et parfois la grâce des dialogues de Platon.

Entrant alors dans les détails de son sujet, l’auteur fixe d’après les propriétés même des nombres, les durées dans le mouvement, leur progression, leurs rapports; il détermine les limites où s’arrêtent ces mouvements susceptibles, comme les nombres qui les expriment, de s’étendre à l’infini. Cette discussion en apparence subtile ou aride met dans tout son jour le système pythagoricien sur les lois mathématiques des sons et des accords: à ce titre, elle offrira le plus vif intérêt à tous ceux qui voudraient étudier le principe du pythagorisme en dehors de ses applications erronées à la morale ou à la métaphysique, je veux dire dans sa simplicité première et dans sa pureté.

Accoutumés à scander, nous ne voyons dans les pieds que des combinaisons de brèves et de longues plus ou moins artificielles. Il n’en est rien : « Les pieds, selon l’expression de M. Vincent[1] « sont identiquement la même chose que nos me« sures musicales. » Ils se composent de temps rendus sensibles à l’oreille par le battement de la mesure. Le mélange des pieds ne peut avoir lieu qu’à la condition qu’ils offrent des durées égales et qu’ils se mesurent par le même battement. L’amphibraque ne peut se combiner avec aucun aucun autre pied parce que, divisé dans un rapport de 3 à 1, il trouble le battement de la mesure et comme dit l’élève, écorche les oreilles. En résumé, le pied exprime une mesure musicale dont les syllabes sont les notes, et la combinaison des pieds doit se faire dans un rapport tel que le levé et le posé, le temps faible et le temps fort, reviennent à des intervalles constants et réguliers.

Ce partage du pied en levé et en posé, caractérise essentiellement le rhythme, qui n’est qu’une euite de mesures musicales sans fin déterminée. Les hymnes de Pindare, les chœurs des tragiques sont en général des rhythmes où les paroles se succèdent selon les exigences de l’air créé ou adopté par le poète. La théorie du rhythme, telle qu’on la trouve dans saint Augustin, précise, lumineuse et manifestement appuyée sur une connaissance profonde des conditions de la poésie lyrique dans l’antiquité, ofire, selon nous, les véritables principes pour apprécier celte poésie, aujourd’hui assez obscure et par là même difficile à goûter. Nous sentons l’harmonie de Virgile : qui peut se flatter de sentir celle de Pindare? C’est qu’il y a dans les vers de Virgile une cadence tout à fait étrangère aux rhythmes de Pindare. Nous n’avons plus, si j’ose ainsi parler, que le libretto des odes de ce graud musicien. Le mouvement, la passion, la clarté même que le chant répandait à travers ses paroles, comme un souffle puissant, ont disparu pour nous avec la musique. Pindare a eu le sort de ces statues de la Grèce, qui, transportées sous un climat étranger, perdent avec la transparente lumière du ciel oriental la grâce de leurs proportions et le mouvement de leurs traits. La véritable traduction de Pindare serait une traduction en musique. Loin de nous sans doute la pensée d’assimiler à un faiseur de libretto moderne, un Pindare, un Sophocle ! Mais nous ne pouvons nous résoudre à attribuer uniquement à l’inspiration « leur beau « désordre, » ces tours brusques, ces alliances de mot hardies, cette absence de transition, qui déconcertent le grammairien. La musique animait les paroles; elle les interprétait à l’oreille et au cœur, comme elle interprète dans nos églises la sublime terreur du Dies irœ.

Qu’on lise saint Augustin : le rôle tout secondaire de la parole dans le rhythme est tellement un principe à ses yeux, qu’il nous avertit de faire abstraction des mots pour ne considérer que les sons, et que les exemples qu’il donne offrent plutôt un son agréable à l’oreille qu’un sens clair à l’esprit, tant il est vrai que le poète lyrique, dans l’antiquité, n’aurait jamais marché, comme dit Bossuet[2], par vives et impétueuses saillies, s’il n’avait été soutenu et guidé dans ses élans par les mouvements réguliers et « bien ordonnés » de la musique.

Le mètre se distingue du rhythme en ce qu’il admet une fin déterminée, au déjà de laquelle il recommence. Nous n’insisterons pas sur cette distinction malgré son importance : nous voulons appeler l’attention du lecteur sur la manière dont l’auteur enseigne à mesurer le mètre par le battement.

Son système est fort simple et repose sur ce principe : chaque mètre a un pied principal, c’est-à-dire, une mesure fondamentale composée d’un nombre de temps déterminé. Cette mesure, une fois reconnue et adoptée doit se retrouver partout : si un ou plusieurs temps manquent, on les remplace par des silences dont le battement fait sentir la durée. C’est ainsi que dans la musique moderne on remplace les notes par des pauses, des demi-pauses ou des soupirs. Par exemple, ce mètre :

segetes meus labor


peut se mesurer de deux façons différentes ; cela dépend du pied que l’on choisit pour mesure

  1. Analyse du traité de Musica chez Paul Dupont, 1819, Paris. En recommandant cette analyse à nos lecteurs nous les remettons à notre propre guide.
  2. Hist. universelle : définition de l’ode sacrée qui, elle aussi, était un rhythme.