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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/406

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DE LA MUSIQUE.


as raison. — L. M. Et ce terme, que la grammaire t’a appris, tu n’as pas craint de l’appliquer à un objet qui, de ton propre aveu, n’est pas du ressort de la grammaire? — L’É. Qu’on n’ait donné un nom au pied que pour marquer la mesure des temps, j’en suis convaincu ; mais pourquoi ne serais-je pas libre d’employer ce terme pour désigner une semblable mesure, chaque fois que je la rencontrerai ? Admettons même qu’il fallût employer, pour désigner des sons qui aient la même mesure, un terme différent et étranger à la grammaire, à quoi bon m’inquiéter des mots quand les choses ont pour moi un sens clair ?

L. M. Ce n’est pas là ma pensée; cependant, comme il y a dans les sons, tu le vois bien, des nuances sans nombre, et qu’on peut y reconnaître des mesures déterminées qui, nous en convenons, ne rentrent pas dans le domaine de la grammaire ; ne penses-tu pas qu’il existe un autre art qui embrasse tout ce qui regarde le nombre et l’harmonie dans les mots? — L’É. Cela me paraît probable. — L. M. Quel est cet art, à ton avis? Tu n’ignores pas sans doute qu’on accorde aux Muses une sorte de souveraineté sur le chant; et c’est là, je crois, ce qu’on nomme la musique. — L’É. Je le crois aussi.


CHAPITRE II.
DÉFINITION DE LA MUSIQUE ET DE LA MODULATION.

L. M. Nous n’avons pas l’intention de contester sur les mots : mettons donc toute notre attention, si tu le veux bien, à examiner quelle est la nature et l’essence de cet art, quel qu’il soit. — L’É. Examinons cette question : car je désire vivement apprendre jusqu’où s’étend le domaine de cet art. — L. M. Définis donc la musique. — L’É. Je n’ose. — L. M. Pourrais-tu voir du moins si ma définition est juste? — L’É. J’essaierai quand tu l’auras formulée. — L. M. La musique est une science qui apprend à bien moduler. Es-tu de cet avis? — L’É. Peut-être, si je voyais clairement en quoi consiste la modulation. — L. M. N’as-tu jamais entendu prononcer ce mot, ou ne l’as-tu entendu qu’à propos du chant et de la danse? — L’É. C’est cela même; mais comme je remarque que moduler[1] vient de modus, juste mesure, et qu’il y a une mesure à garder dans tout ce que l’on fait de bien, tandis que dans le chant et dans la danse il y a une infinité de choses basses, quoique attrayantes; je voudrais comprendre parfaitement ce qu’on entend par modulation : car ce seul mot renferme presque entièrement la définition d’un art aussi étendu que la musique, et il ne s’agit point d’apprendre ici les secrets des chanteurs et des histrions.

L. M. Tu viens de dire que, même en dehors de la musique, il fallait garder dans nos actions une certaine mesure ; néanmoins le terme de modulation entre dans la définition de la musique ; n’en sois pas surpris : ignores-tu donc que la parole est appelée le privilège et le don de l’orateur? — L’É. Je le sais bien, mais pourquoi cette question? — L. M. Le voici : quand ton valet, tout grossier et tout ignorant qu’il est, répond par un seul mot à ta demande, conviens-tu qu’il parle? — L’É. J’en conviens. — L. M. Est-il pour cela un orateur? — L’É. Non certes. — L. M. Il n’a donc pas manié la parole, en prononçant quelques mots, quoique parole vienne de parler. — L’É. D’accord ; mais cette fois encore où veux-tu en venir? — L. M. À te faire comprendre que la modulation est un terme qui peut n’appartenir qu’à la musique, bien que le mot modus qui l’a formé puisse s’appliquer à d’autres objets. Ainsi le don de la parole est attribué exclusivement aux orateurs, quoique personne ne s’exprime sans parler, et que parole vienne de parler. — L’É. Je comprends maintenant.

3. Quant à l’observation que tu as faite ensuite, qu’il y a dans les chants et dans les danses des grossièretés qu’on ne saurait appeler modulation sans dégrader cet art presque divin, elle est parfaitement juste. Voyons donc d’abord ce qu’il faut entendre par moduler; ensuite, par bien moduler, car ce n’est pas sans raison que le mot bien a été ajouté à la définition. Quant au mot science, il ne faut pas non plus le passer légèrement; voilà les trois termes, si je ne me trompe, dont se compose la définition. — L’É. J’y consens.

L. M. Nous reconnaissons donc que modulation dérive de modus. Faut-il craindre qu’il n’y ait excès ou défaut de mesure que dans les objets mis en mouvement? Et, quand il n’y a pas mouvement, doit-on craindre que la mesure ne soit pas observée? — L’É. Pour cela non. — L. M. Ainsi, nous pouvons définir la modulation, l’art dans les mouvements, ou du

  1. Modulari : soumettre à la mesure, à la règle.