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LIVRE VII. — LES DIEUX CHOISIS

cause de la semence. Aussi bien, que peuvent dire de raisonnable des gens qui veulent expliquer des folies ?

« Saturne a une faux, poursuit Varron, comme symbole de l’agriculture ». Mais l’agriculture n’existait pas sous le règne de Saturne, puisqu’on fait remonter ce règne aux temps primitifs, ce qui signifie, suivant Varron, que les hommes de cette époque vivaient de ce que la terre produisait sans culture. Serait-ce qu’après avoir perdu son sceptre, Saturne aurait pris une faux, afin de devenir sous le règne de son fils un laborieux mercenaire, après avoir été aux anciens jours un prince oisif ? Varron ajoute que dans certains pays, à Carthage par exemple, on immolait des enfants à Saturne, et que les Gaulois lui sacrifiaient même des hommes faits, parce que, de toutes les semences, celle de l’homme est la plus excellente. Mais qu’est-il besoin d’insister sur une folie si cruelle ? Il nous suffit de remarquer et de tenir pour certain que toutes ces explications ne se rapportent point au vrai Dieu, à cette nature vivante, immuable, incorporelle, à qui l’on doit demander la vie éternellement heureuse, mais qu’elles se terminent à des objets temporels, corruptibles, sujets au changement et à la mort. « Quand on dit que Saturne a mutilé le Ciel, son père, cela signifie, dit encore Varron, que la semence divine n’appartient pas au Ciel, mais à Saturne, et cela parce que rien au Ciel, autant qu’on en peut juger, ne provient d’une semence ». Mais si Saturne est fils du Ciel, il est fils de Jupiter ; car on reconnaît d’un commun accord que le Ciel est Jupiter. Et voilà comme ce qui ne vient pas de la vérité se ruine de soi-même, sans que personne y mette la main. Varron dit aussi que Saturne est appelé Cronos, mot grec qui signifie le Temps, parce que sans le temps les semences ne sauraient devenir fécondes ; et il y a encore sur Saturne une foule de récits que les théologiens ramènent tous à l’idée de semence. Il semble tout au moins que Saturne, avec une puissance si étendue, aurait dû suffire à lui tout seul pour ce qui regarde la semence ; pourquoi donc lui adjoindre d’autres divinités, comme Liber et Libera, c’est-à-dire Cérès ? pourquoi entrer, comme fait Varron, dans mille détails sur les attributions de ces divinités relativement à la semence, comme s’il n’avait pas déjà été question de Saturne ?

CHAPITRE XX.
DES MYSTÈRES DE CÉRÈS ÉLEUSINE.

Entre les mystères de Cérès, les plus fameux sont ceux qui se célébraient à Éleusis, ville de l’Attique. Tout ce que Varron en dit ne regarde que l’invention du blé attribuée à Cérès, et l’enlèvement de sa fille Proserpine par Pluton. Il voit dans ce dernier récit le symbole de la fécondité des femmes : « La terre, dit-il, ayant été stérile pendant quelque temps, cela fit dire que Pluton avait enlevé et retenu aux enfers la fille de Cérès, c’est-à-dire la fécondité même, appelée Proserpine, de proserpere (pousser, lever). Et comme après cette calamité qui avait causé un deuil public on vit la fécondité revenir, on dit que Pluton avait rendu Proserpine, et on institua des fêtes solennelles en l’honneur de Cérès ». Varron ajoute que les mystères d’Éleusis renferment plusieurs autres traditions, qui toutes se rapportent à l’invention du blé.

CHAPITRE XXI.
DE L’INFAMIE DES MYSTÈRES DE LIBER OU BACCHUS.

Quant aux mystères du dieu Liber, qui préside aux semences liquides, c’est-à-dire non-seulement à la liqueur des fruits, parmi lesquels le vin tient le premier rang, mais aussi aux semences des animaux, j’hésite à prolonger mon discours par le récit de ces turpitudes ; il le faut néanmoins pour confondre l’orgueilleuse stupidité de nos adversaires. Entre autres rites que je suis forcé d’omettre, parce qu’il y en a trop, Varron rapporte qu’en certains lieux[1] de l’Italie, aux fêtes de Liber, la licence était poussée au point d’adorer, en l’honneur de ce dieu, les parties viriles de l’homme, non dans le secret pour épargner la pudeur, mais en public pour étaler l’impudicité. On plaçait en triomphe ce membre honteux sur un char que l’on conduisait dans la ville, après l’avoir d’abord promené à travers la campagne. À Lavinium, on consacrait à Liber un mois entier, pendant lequel chacun se donnait carrière en discours

  1. Saint Augustin se sert du mot compita, ce qui a fait conjecturer qu’il s’agissait ici des fêtes nommées Compitalia.