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LIVRE VII. — LES DIEUX CHOISIS

aux méchants dans ce gouvernement général de la nature dont nous venons de dire quelques mots, nous avons encore une preuve du grand amour qu’il porte aux bons en particulier. Certes, en nous donnant l’être, la vie, le privilége de contempler le ciel et la terre, enfin cette intelligence et cette raison qui nous élèvent jusqu’au Créateur de tant de merveilles, il nous a mis dans l’impuissance de trouver des remerciements dignes de ses bienfaits ; mais si nous venons à considérer que dans l’état où nous sommes tombés, c’est-à-dire accablés sous le poids de nos péchés et devenus aveugles par la privation de la vraie lumière et l’amour de l’iniquité, loin de nous avoir abandonnés à nous-mêmes, il a daigné nous envoyer son Verbe, son Fils unique, pour nous apprendre par son incarnation et par sa passion combien l’homme est précieux à Dieu, pour nous purifier de tous nos péchés par ce sacrifice unique, répandre son amour dans nos cœurs par la grâce de son Saint-Esprit, et nous faire arriver, malgré tous les obstacles, au repos éternel et à l’ineffable douceur de la vision bienheureuse, quels cœurs et quelles paroles peuvent suffire aux actions de grâces qui lui sont dues ?

CHAPITRE XXXII.
LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION N’A MANQUÉ À AUCUN DES SIÈCLES PASSÉS, ET PAR DES SIGNES DIVERS IL A TOUJOURS ÉTÉ ANNONCÉ AUX HOMMES.

Dès l’origine du genre humain, les anges ont annoncé à des hommes choisis ce mystère de la vie éternelle par des figures et des signes appropriés aux temps. Plus tard, les Hébreux ont été réunis en corps de nation pour figurer ce même mystère, et c’est parmi eux que toutes les choses accomplies depuis l’avénement du Christ jusqu’à nos jours, et toutes celles qui doivent s’accomplir dans la suite des siècles, ont été prédites par des hommes dont les uns comprenaient et les autres ne comprenaient pas ce qu’ils prédisaient. Puis la nation hébraïque a été dispersée parmi les nations, afin de servir de témoin aux Écritures qui annonçaient le salut éternel en Jésus-Christ. Car non-seulement toutes les prophéties transmises par la parole, aussi bien que les préceptes de morale et de piété contenus dans les saintes lettres, mais encore les rites sacrés, les prêtres, le tabernacle, le temple, les autels, les sacrifices, les cérémonies, les fêtes, et généralement tout ce qui appartient au culte qui est dû à Dieu et que les Grecs nomment proprement culte de latrie[1], tout cela était autant de figures et de prophéties de ce que nous croyons s’être accompli dans le présent, et de ce que nous espérons devoir s’accomplir dans l’avenir par rapport à la vie éternelle dont les fidèles jouiront en Jésus-Christ.

CHAPITRE XXXIII.
LA FOURBERIE DES DÉMONS, TOUJOURS PRÊTS À SE RÉJOUIR DES ERREURS DES HOMMES, N’A PU ÊTRE DÉVOILÉE QUE PAR LA RELIGION CHRÉTIENNE.

La religion chrétienne, la seule véritable, est aussi la seule qui ait pu convaincre les divinités des gentils de n’être que d’impurs démons, dont le but est de se faire passer pour dieux sous le nom de quelques hommes morts ou de quelques autres créatures, afin d’obtenir des honneurs divins qui flattent leur orgueil et où se mêlent de coupables et abominables impuretés. Ces esprits immondes envient à l’homme son retour salutaire vers Dieu ; mais l’homme s’affranchit de leur domination cruelle et impie, quand il croit en Celui qui lui a enseigné à se relever par l’exemple d’une humilité égale à l’orgueil qui fit tomber les démons. C’est parmi ces esprits de malice qu’il faut placer non-seulement tous les dieux dont j’ai déjà beaucoup parlé, et tant d’autres semblables qu’on voit adorés des autres peuples, mais particulièrement ceux dont il est question dans ce livre, je veux dire cette élite et comme ce sénat de dieux qui durent leur rang non à l’éclat de leurs vertus, mais à l’énormité de leurs crimes. En vain Varron s’efforce de justifier les mystères de ces dieux par des explications physiques ; il veut couvrir d’un voile d’honnêteté des choses honteuses et il n’y parvient pas : la raison en est simple, c’est que les causes des mystères du paganisme ne sont pas celles qu’il croit ou plutôt qu’il veut faire croire. Si les causes qu’il assigne étaient les véritables, s’il était possible, en effet, d’expliquer les mystères par des raisons naturelles, cette interprétation aurait au moins l’avantage de diminuer le scandale de certaines pratiques qui paraissent obscènes ou absurdes, tant qu’on en ignore le sens. Et c’est justement ce que Varron a essayé de faire pour certaines

  1. Sur le culte de latrie, voyez plus haut la préface du livre vi.