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LA CITÉ DE DIEU

vaincu[1] ». Parmi les inspirés du Saint-Esprit, il faut placer aussi ces personnages qui se réjouissaient des événements futurs dévoilés à leurs regards, comme Siméon et Anne[2], qui connurent Jésus-Christ aussitôt après sa naissance ; ou comme Élisabeth[3], qui le connut en esprit dès sa conception ; ou comme saint Pierre qui s’écria, éclairé par une révélation du Père : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant[4] ». Quant à cet égyptien, les esprits qui lui avaient révélé le temps de leur défaite, étaient ceux-là mêmes qui dirent en tremblant à Notre-Seigneur pendant sa vie mortelle : « Pourquoi êtes-vous venu nous perdre avant le temps[5] ? » soit qu’ils fussent surpris de voir arriver sitôt ce qu’ils prévoyaient à la vérité, mais sans le croire si proche, soit qu’ils fissent consister leur perdition à être démasqués et méprisés. Et cela arrivait avant le temps, c’est-à-dire avant l’époque du jugement, où ils seront livrés à la damnation éternelle avec tous les hommes qui auront accepté leur société ; car ainsi l’enseigne la religion, celle qui ne trompe pas, qui n’est pas trompée, et qui ne ressemble pas à ce prétendu sage flottant à tout vent de doctrine[6], mêlant le faux avec le vrai, et se lamentant sur la ruine d’une religion convaincue d’erreur par son propre aveu.

CHAPITRE XXIV.
TOUT EN DÉPLORANT LA RUINE FUTURE DE LA RELIGION DE SES PÈRES, HERMÈS EN CONFESSE OUVERTEMENT LA FAUSSETÉ.

Après un long discours Hermès reprend en ces termes ce qu’il avait dit des dieux formés par la main des hommes : « En voilà assez pour le moment sur ce sujet ; revenons à l’homme et à ce don divin de la raison qui lui mérite le nom d’animal raisonnable. On a beaucoup célébré les merveilles de la nature humaine ; mais, si étonnantes qu’elles paraissent, elles ne sont rien à côté de cette merveille incomparable, l’art d’inventer et de faire des dieux. Nos pères, en effet, tombés dans l’incrédulité et aveuglés par de grandes erreurs qui les détournaient de la religion et du culte, imaginèrent de former des dieux de leurs propres mains ; cet art une fois inventé, ils y joignirent une vertu mystérieuse empruntée à la nature universelle, et, dans l’impuissance où ils étaient de faire des âmes, ils évoquèrent celles des démons ou des anges, en les attachant à ces images sacrées et aux divins mystères, ils donnèrent à leurs idoles le pouvoir de faire du bien ou du mal ». Je ne sais en vérité si les démons évoqués en personne voudraient faire des aveux aussi complets ; Hermès, en effet, dit en propres termes : « Nos pères, tombés dans l’incrédulité et aveuglés par de grandes erreurs qui les détournaient de la religion et du culte, imaginèrent de former des dieux de leurs propres mains ». Or, ne pourrait-il pas se contenter de dire : Nos pères ignoraient la vérité ? Mais non ; il prononce le mot d’erreur, et il dit même de grandes erreurs. Telle est donc l’origine de ce grand art de faire des dieux : c’est l’erreur, c’est l’incrédulité, c’est l’oubli de la religion et du culte. Et cependant notre sage égyptien déplore la ruine future de cet art, comme s’il s’agissait d’une religion divine. N’est-il pas évident, je le demande, qu’en confessant de la sorte l’erreur de ses pères, il cède à une force divine, comme en déplorant la défaite future des démons, il cède à une force diabolique ? Car enfin, si c’est par l’erreur, par l’incrédulité, par l’oubli de la religion et du culte qu’a été trouvé l’art de faire des dieux, il ne faut plus s’étonner que toutes les œuvres de cet art détestable, conçues en haine de la religion divine, soient détruites par cette religion, puisqu’il appartient à la vérité de redresser l’erreur, à la foi de vaincre l’incrédulité, à l’amour qui ramène à Dieu de triompher de la haine qui en détourne.

Supposons que Trismégiste, en nous apprenant que ses pères avaient inventé l’art de faire des dieux, n’eût rien dit des causes de cette invention, c’eût été à nous de comprendre, pour peu que nous fussions éclairés par la piété, que jamais l’homme n’eût imaginé rien de semblable s’il ne se fût détourné du vrai, s’il eût gardé à Dieu une foi digne de lui, s’il fût resté attaché au culte légitime et à la bonne religion. Et toutefois, si nous eussions, nous, attribué l’origine de l’idolâtrie à l’erreur, à l’incrédulité l’oubli de la vraie religion, l’impudence des adversaires du christianisme serait jusqu’à un certain point supportable ; mais quand celui qui admire avec transport dans l’homme cette puissance de faire des

  1. Isaïe, XIX, 1.
  2. Luc, ii, 25-38.
  3. Id. i, 45.
  4. Matt xvi, 16.
  5. Id. viii, 29.
  6. Éphés. iv, 14.