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LA CITÉ DE DIEU

dieux habitants du ciel aux hommes habitants de la terre, pour en venir plus tard aux démons qui habitent la région mitoyenne entre ces deux extrémités, Apulée s’exprime ainsi : « Les hommes, ces êtres qui jouissent de la raison et possèdent la puissance de la parole, dont l’âme est immortelle et les membres moribonds, esprits légers et inquiets, corps grossiers et corruptibles, différents par les mœurs et semblables par les illusions, d’une audace obstinée, d’une espérance tenace, les hommes dont les travaux sont vains et la fortune changeante, espèce immortelle où chaque individu périt après avoir à son tour renouvelé les générations successives, dont la durée est courte, la sagesse tardive, la mort prompte, la vie plaintive, les hommes, dis-je, ont la terre pour séjour ». Parmi tant de caractères communs à la plupart des hommes, Apulée a-t-il oublié celui qui est propre à un petit nombre, la sagesse tardive ? S’il l’eût passé sous silence, cette description, si soigneusement tracée, n’eût pas été complète. De même, quand il veut faire ressortir l’excellence des dieux, il insiste sur cette béatitude qui leur est propre et où les hommes s’efforcent de parvenir par la sagesse. Certes, s’il avait voulu nous persuader qu’il y a de bons démons, il aurait placé dans la description de ces êtres quelque trait qui les rapprochât des dieux par la béatitude, ou des hommes par la sagesse. Point du tout, il n’indique aucun attribut qui fasse distinguer les bons d’avec les méchants. Si donc il n’a pas dévoilé librement leur malice, moins par crainte de les offenser que pour ne pas choquer leurs adorateurs devant qui il parlait, il n’en a pas moins indiqué aux esprits éclairés ce qu’il faut penser à cet égard. En effet, il affirme que tous les dieux sont bons et heureux, et, les affranchissant de ces passions turbulentes qui agitent les démons, il ne laisse entre ceux-ci et les dieux d’autre point commun qu’un corps éternel. Quand, au contraire, il parle de l’âme des démons, c’est aux hommes et non pas aux dieux qu’il les assimile par cet endroit ; et encore, quel est le trait de ressemblance ? ce n’est pas la sagesse, à laquelle les hommes peuvent participer ; ce sont les passions, ces tyrans des âmes faibles et mauvaises, que les hommes sages et bons parviennent à vaincre, mais dont ils aimeraient mieux encore n’avoir pas à triompher. Si, en effet, quand il dit que l’immortalité est commune aux démons et aux dieux, il avait voulu faire entendre celle des esprits et non celle des corps, il aurait associé les hommes à ce privilège, loin de les en exclure, puisqu’en sa qualité de platonicien il croit les hommes en possession d’une âme immortelle. N’a-t-il pas dit de l’homme, dans la description citée plus haut : Son âme est immortelle et ses membres moribonds ? Par conséquent, ce qui sépare les hommes des dieux, quant à l’éternité, c’est leur corps périssable ; ce qui en rapproche les démons, c’est seulement leur corps immortel.

CHAPITRE IX.
SI L’INTERCESSION DES DÉMONS PEUT CONCILIER AUX HOMMES LA BIENVEILLANCE DES DIEUX.

Voilà d’étranges médiateurs entre les dieux et les hommes, et de singuliers dispensateurs des faveurs célestes ! La partie la meilleure de l’animal, l’âme, c’est ce qu’il y a de vicieux en eux, comme dans l’homme ; et ce qu’ils ont de meilleur, ce qui est immortel en eux comme chez les dieux, c’est la pire partie de l’animal, le corps. L’animal, en effet, se compose de corps et d’âme, et l’âme est meilleure que le corps ; même faible et vicieuse, elle vaut mieux que le corps le plus vigoureux et le plus sain, parce que l’excellence de sa nature se maintient jusque dans ses vices, de même que l’or, souillé de fange, reste plus précieux que l’argent ou le plomb le plus pur. Or, il arrive que ces médiateurs, chargés d’unir la terre avec le ciel, n’ont de commun avec les dieux qu’un corps éternel, et sont par l’âme aussi vicieux que les hommes ; comme si cette religion, qui rattache les hommes aux dieux par l’entremise des démons, consistait, non dans l’esprit, mais dans le corps. Quel est donc le principe de malignité ou plutôt de justice qui tient ces faux et perfides médiateurs comme suspendus la tête en bas, la partie inférieure de leur être, le corps, engagé avec les natures supérieures, la partie supérieure, l’âme, avec les inférieures, unis aux dieux du ciel par la partie qui obéit, malheureux comme les habitants de la terre par la partie qui commande ? car le corps est un esclave, et, comme dit Salluste : « A l’âme appartient le commandement et au corps l’obéissance[1] ». A

  1. Catil., cap. 1.