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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

théurges. Car enfin tout ce que je viens dire, il le savait, mais il n’était pas libre de le maintenir résolument contre le culte de plusieurs dieux. Il dit, en effet, qu’il y a des anges qui descendent ici-bas pour initier les théurges à la science divine, et que d’autres y viennent annoncer la volonté du Père et révéler ses profondeurs. Je demande s’il est croyable que ces anges, dont la fonction est d’annoncer la volonté du Père, veuillent nous forcer à reconnaître un autre Dieu que celui dont ils annoncent la volonté. Aussi Porphyre lui-même nous conseille-t-il excellemment de les imiter plutôt que de les invoquer. Nous ne devons donc pas craindre d’offenser ces esprits bienheureux et immortels, entièrement soumis à un seul Dieu, en ne leur sacrifiant pas ; car ils savent que le sacrifice n’est dû qu’au seul vrai Dieu dont la possession fait leur bonheur, et dès lors ils n’ont garde de le demander pour eux, ni en figure, ni en réalité. Cette usurpation insolente n’appartient qu’aux démons superbes et malheureux, et rien n’en est plus éloigné que la piété des bons anges unis à Dieu sans partage et heureux par cette union. Loin de s’arroger le droit de nous dominer, ils nous aident dans leur bienveillance sincère à posséder le vrai bien et à partager en paix leur propre félicité.

Pourquoi donc craindre encore, ô philosophe ! d’élever une voix libre contre des puissances ennemies des vertus véritables et des dons du véritable Dieu ? Déjà tu as su distinguer les anges qui annoncent la volonté de Dieu d’avec ceux qu’appelle je ne sais par quel art l’évocation du théurge. Pourquoi élever ainsi ces esprits impurs à l’insigne honneur de révéler des choses divines ? Et comment seraient-ils les interprètes des choses divines, ceux qui n’annoncent pas la volonté du Père ? Ne sont-ce pas ces mêmes esprits qu’un envieux magicien a enchaînés par ses conjurations pour les empêcher de purifier une âme[1], sans qu’il fût possible, c’est toi qui le dis, à un théurge vertueux de rompre ces chaînes et de replacer cette âme sous sa puissance ? Quoi ! tu doutes encore que ce ne soient de mauvais démons ! Mais non, tu feins sans doute de l’ignorer ; tu ne veux pas déplaire aux théurges vers lesquels t’a enchaîné une curiosité décevante et qui t’ont transmis comme un don précieux cette science pernicieuse et insensée. Oses-tu bien élever au-dessus de l’air et jusqu’aux régions sidérales ces puissances ou plutôt ces pestes moins dignes du nom de souveraines que de celui d’esclaves, et ne vois-tu pas qu’en faire les divinités du ciel, c’est infliger au ciel un opprobre !

CHAPITRE XXVII.
PORPHYRE S’ENGAGE DANS L’ERREUR PLUS AVANT QU’APULÉE ET TOMBE DANS L’IMPIÉTÉ.

Combien l’erreur d’Apulée, platonicien comme toi, est moins choquante et plus supportable ! Il n’attribue les agitations de l’âme humaine et la maladie des passions qu’aux démons qui habitent au-dessous du globe de la lune, et encore hésite-t-il dans cet aveu qu’il fait touchant des êtres qu’il honore ; quant aux dieux supérieurs, à ceux qui habitent l’espace éthéré, soit visibles, comme le soleil, la lune et les autres astres que nous contemplons au ciel, soit invisibles, comme Apulée en suppose, il s’efforce de les purifier de la souillure des passions. Ce n’est donc pas à l’école de Platon, mais à celle de tes maîtres Chaldéens que tu as appris à élever les vices des hommes jusque dans les régions de l’empyrée et sur les hauteurs sublimes du firmament, afin que les théurges aient un moyen d’obtenir des dieux la révélation des choses divines. Et cependant, ces choses divines, tu te mets au-dessus d’elles par ta vie intellectuelle[2], ne jugeant pas qu’en ta qualité de philosophe les purifications théurgiques te soient nécessaires. Elles le sont aux autres, dis-tu, et afin sans doute de récompenser tes maîtres, tu renvoies aux théurges tous ceux qui ne sont pas philosophes, non pas, il est vrai, pour être purifiés dans la partie intellectuelle de l’âme, car la théurgie, tu l’avoues, ne porte pas jusque-là, mais pour l’être au moins dans la partie spirituelle. Or, comme le nombre des âmes peu capables de philosophie est sans comparaison le plus grand, tes écoles secrètes et illicites seront plus fréquentées que celles de Platon. Ils t’ont sans doute promis, ces démons impurs, qui veulent passer pour des dieux célestes et dont tu t’es fait le messager et le hé-

  1. Voyez plus haut, chap. 9 du livre x.
  2. Voyez plus haut, ch. 9, la distinction établie par Porphyre entre la partie simplement spirituelle de l’âme et sa partie intellectuelle et supérieure.