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LIVRE XI. — ORIGINE DES DEUX CITÉS.

le Père a engendré le Verbe (c’est-à-dire la sagesse, par qui toutes choses ont été faites), Fils unique du Père, un comme lui, éternel comme lui, et souverainement bon comme lui ; que le Saint-Esprit est ensemble l’esprit du Père et du Fils, consubstantiel et coéternel à tous deux ; et que tout cela est Trinité, à cause de la propriété des personnes, et un seul Dieu, à cause de la divinité inséparable, comme un seul tout-puissant, à cause de la toute-puissance inséparable ; de telle sorte que chaque personne est Dieu et tout-puissant, et que toutes les trois ensemble ne sont point trois dieux, ni trois tout-puissants, mais un seul Dieu tout-puissant ; tant l’unité de ces trois personnes divines est inséparable. Or, le Saint-Esprit du Père, qui est bon, et du Fils, qui est bon aussi, peut-il avec raison s’appeler la bonté des deux, parce qu’il est commun aux deux ? Je n’ai pas la témérité de l’assurer. Je dirais plutôt qu’il est la sainteté des deux, en ne prenant pas ce mot pour une qualité, mais pour une substance et pour la troisième personne de la Trinité[1]. Ce qui me déterminerait à hasarder cette réponse, c’est qu’encore que le Père soit esprit et soit saint, et le Fils de même, la troisième personne divine ne laisse pas toutefois de s’appeler proprement l’Esprit-Saint, comme la sainteté substantielle et consubstantielle de tous deux. Cependant, si la bonté divine n’est autre-chose que la sainteté divine, ce n’est plus une témérité de l’orgueil, mais un exercice légitime de la raison, de chercher sous le voile d’une expression mystérieuse le dogme de la Trinité manifestée dans ces trois conditions, dont on peut s’enquérir en chaque créature : qui l’a faite, par quel moyen a-t-elle été faite et pour quelle fin ? Car c’est le Père du Verbe qui a dit : « Que cela soit fait » ; ce qui a été fait à sa parole, l’a sans doute été par le Verbe ; et lorsque l’Ecriture ajoute : « Dieu vit que cela était bon », ces paroles nous montrent assez que ce n’a point été par nécessité, ni par indigence, mais par bonté, que Dieu a fait ce qu’il a fait, c’est-à-dire parce que cela est bon. Et c’est pourquoi la créature n’a été appelée bonne qu’après sa création, afin de marquer qu’elle est conforme à cette bonté, qui est la raison finale de son existence. Or, si par cette bonté on peut fort bien entendre le Saint-Esprit, voilà la Trinité tout entière manifestée dans tous ses ouvrages. C’est en elle que la Cité sainte, la Cité d’en haut et des saints anges trouve son origine, sa forme et sa félicité. Si l’on demande quel est l’auteur de son être, c’est Dieu qui l’a créée ; pourquoi elle est sage, c’est que Dieu l’éclaire ; d’où vient qu’elle est heureuse, c’est qu’elle jouit de Dieu. Ainsi Dieu est le principe de son être, de sa lumière et de sa joie ; elle est, elle voit, elle aime ; elle est dans l’éternité de Dieu, elle brille dans sa vérité, elle jouit dans sa bonté.

CHAPITRE XXV.
DE LA DIVISION DE LA PHILOSOPHIE EN TROIS PARTIES.

Tel est aussi, autant qu’on en peut juger, le principe de cette division de la philosophie en trois parties, établie ou, pour mieux dire, reconnue par les sages ; car si la philosophie se partage en physique, logique et éthique, ou, pour employer des mots également usités, en science naturelle, science rationnelle et science morale[2], ce ne sont pas les philosophes qui ont fait ces distinctions, ils n’ont eu qu’à les découvrir. Par où je n’entends pas dire qu’ils aient pensé à Dieu et à la Trinité, quoique Platon, à qui on rapporte l’honneur de la découverte[3], ait reconnu Dieu comme l’unique auteur de toute la nature, le dispensateur de l’intelligence et l’inspirateur de cet amour qui est la source d’une bonne et heureuse vie ; je remarque seulement que les philosophes, tout en ayant des opinions différentes sur la nature des choses, sur la voie qui mène à la vérité et sur le bien final auquel nous devons rapporter toutes nos actions, s’accordent tous à reconnaître cette division générale, et nul d’entre eux, de quelque secte qu’il soit, ne révoque en doute que la nature n’ait une cause, la science une méthode et la vie une loi. De même chez tout artisan, trois choses concourent à la production de ses ouvrages, la nature, l’art et l’usage. La nature se fait reconnaître par le génie, l’art par l’instruction et l’usage par le fruit. Je sais bien

  1. Saint Augustin se sépare ici des hérétiques macédoniens, pour qui le Saint-Esprit n’avait pas une réalité propre et substantielle. Voyez son traité De hœres., hær. 52.
  2. Saint Augustin s’exprime en cet endroit avec plus de réserve qu’au livre VIII, et il a raison ; car si la tradition rapporte en effet à Platon la première division de la philosophie, il n’en est pas moins vrai que cette division ne se rencontre pas dans les Dialogues.
  3. Saint Augustin renvoie ici à son huitième livre, ou il s’est déjà expliqué sur cette division de la philosophie, au chap. 4 et suiv.