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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIII.djvu/460

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450 LA CITÉ DE DIEU.

CHAPITRE II.
DU SPECTACLE DES CHOSES HUMAINES, OU L’ON NE PEUT NIER QUE LES JUGEMENTS DE DIEU NE SE FASSENT SENTIR, BIEN QU’ILS SE DÉROBENT SOUVENT A NOS REGARDS.

Nous apprenons ici-bas à souffrir patiemment les maux, parce que les bons même les souffrent, et à ne pas attacher un grand prix aux biens, parce que les méchants même y ont part. Ainsi nous trouvons un enseignement salutaire jusque dans les choses où les raisons de la conduite de Dieu nous sont cachées. Nous ignorons en effet par quel jugement de Dieu cet homme de bien est pauvre, et ce méchant opulent ; pourquoi celui-ci vit dans la joie, lorsqu’il devrait être affligé en punition de ses crimes, tandis que celui-là qui devrait vivre dans la joie, à cause de sa conduite exemplaire, est toujours dans la peine. Nous ne savons pas pourquoi l’innocent n’obtient pas justice, pourquoi il est condamné, au contraire, et opprimé par un juge inique ou confondu par de faux témoignages, tandis que le coupable reste non-seulement impuni, mais encore insulte à l’innocent par son triomphe ; pourquoi l’homme religieux est consumé par la langueur, tandis que l’impie est plein de santé. On voit des hommes jeunes et vigoureux vivre de rapines, et d’autres, incapables de nuire, même par un mot, être accablés de maladies et de douleurs. Ceux dont la vie pourrait être utile aux hommes sont emportés par une mort prématurée, et d’autres, qui ne méritaient pas de voir le jour, vivent plus longtemps que personne. Des infâmes, coupables de tous les crimes, parviennent au faîte des grandeurs, et l’homme sans reproche vit caché dans la plus humble obscurité ! Encore si ces contradictions étaient ordinaires dans la vie, où, comme dit le Psalmiste : « L’homme n’est que vanité et ses jours passent comme l’ombre[1] » ; si les méchants possédaient seuls les biens temporels et terrestres, tandis que les bons souffriraient seuls tous les maux, on pourrait attribuer cette disposition à un juste jugement de Dieu, et même à un jugement bienveillant : on pourrait croire qu’il veut que les hommes qui n’obtiendront pas les biens éternels soient trompés ou consolés par les temporels, qui les rendent heureux, et que ceux auxquels ne sont point réservées les peines éternelles, endurent quelques afflictions passagères en punition de fautes légères ou pour s’exercer à la vertu. Mais la plupart du temps, les méchants ont aussi leurs maux, et les bons leurs joies ; ce qui rend les jugements de Dieu plus impénétrables et ses voies plus incompréhensibles. Et cependant, bien que nous ignorions par quel jugement Dieu fait ou permet ces choses, lui qui est la vertu, la sagesse et la justice suprêmes, lui qui n’a ni faiblesse, ni témérité, ni injustice, il nous est avantageux en définitive d’apprendre à ne pas estimer beaucoup des biens et des maux communs aux bons et aux méchants, pour ne chercher que des biens qui n’appartiennent qu’aux bons et pour fuir des maux quine sont propres qu’aux méchants. Lorsque nous serons arrivés à ce jugement suprême de Dieu, dont le temps s’appelle proprement le jour du jugement, et quelquefois le jour du Seigneur, alors nous reconnaîtrons la justice des jugements de Dieu, non-seulement de ceux qu’il rend maintenant, mais aussi des jugements qu’il a rendus dès le principe, et de ceux qu’il rendra jusqu’à ce moment. Alors on verra clairement la justice de Dieu, que la faiblesse de notre raison nous empêche de voir dans un grand nombre et presque dans le nombre entier de ses jugements, quoique d’ailleurs les âmes pieuses aient toute confiance en sa justice mystérieuse.

CHAPITRE III.
DU SENTIMENT DE SALOMON, DANS LE LIVRE DE l’ECCLÉSIASTE, SUR LES CHOSES QUI SONT COMMUNES AUX BONS ET AUX MÉCHANTS.

Salomon, le plus sage roi d’Israël, qui régna à Jérusalem, commence ainsi l’Ecclésiaste, que les Juifs, comme nous, reconnaissent pour canonique : « Vanité des hommes de vanité, a dit l’Ecclésiaste, vanité des hommes de vanité[2], et tout est vanité ! Que revient-il à l’homme de tout ce travail qu’il accomplit sous le soleil[3] ? » Puis, rattachant à cette pensée le tableau des misères humaines, il rappelle les erreurs et les tribulations de cette vie, et démontre qu’il n’y a rien de stable ni

  1. Ps. CXLIII, 4.
  2. Saint Augustin avait d’abord admis la leçon de quelques manuscrits qui portent : Vanitas vanitantium ! Plus tard, dans ses Rétractations (lib. I, cap. 7, n. 3), il s’est prononcé pour la leçon aujourd’hui consacrée Vanitas vanitatum !
  3. Ecclé. I, 2, 3.