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LES MILIEUX SYMBOLISTES

au point de pouvoir combler trois numéros. Il y en avait d’autres où elle faisait absolument défaut. Aux heures de grave pénurie, on avait recours à un ancien rédacteur de la Cravache, un vieux monsieur qui se donnait des allures de savant : Anatole Cerfbeer. Il était l’auteur d’un Répertoire de la Comédie humaine et il avait entrepris « en dialecte petit nègre et télégraphique » une monographie des vingt arrondissements de Paris au point de vue de l’archéologie, de l’histoire et de la politique contemporaine. On remplissait les colonnes avec ses élucubrations. Le bonhomme était content et le journal paraissait quand même. Mais le succès se faisait attendre. Malgré la pléiade ambitieuse de ses rédacteurs, la Cravache ne se vendait pas. Par dédain de tout ce qui touchait au commerce, les collaborateurs avaient négligé la mise en vente. Les retours de la Cravache se chiffraient par des bouillons formidables. Et elle n’avait qu’un unique abonné, lequel versait le montant de son abonnement par amitié pour Fénéon. C’était insuffisant pour soutenir longtemps le zèle de l’imprimeur. Un beau jour il déclara que la littérature des symbolistes « paraissait absurde à sa femme », que les rédacteurs étaient tous d’odieux inconnus et qu’en conséquence, il se refusait à continuer sa publication. Le symbolisme ne dut son salut qu’à la sollicitude de Kahn et au coup d’État qu’il venait de faire à la Vogue.

10. Au début de l’année 1886, Léo d’Orfer, assisté de Gustave Kahn, comme secrétaire de rédaction, avait en effet fondé une revue au titre audacieux : la Vogue. Il avait découvert un éditeur, M. Barbou, qui venait de quitter la province pour s’installer libraire à Paris. Il avait acquis, 41, rue des Écoles, un fonds de papeterie qu’il espérait transformer plus tard en puissante maison d’édition. Bien qu’il eût des idées fort provinciales, il prétendait n’être et ne vouloir être qu’un éditeur d’œuvres d’art, aux idées hautaines, au style magnifique.