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Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/216

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LE SYMBOLISME

vérité que nous puissions atteindre. Plusieurs illusions entrelacées constituent une vérité. L’œuvre du poète est de fixer des vérités. En présence de l’inextricable écheveau d’illusions qui réfléchissent obscurément pour lui les réalités supérieures, le poète doit, pour capter la vérité, se regarder comme la scène sur laquelle ces illusions viennent en chœur danser des ballets à figures bizarres et compliquées. Il a le devoir de les reproduire tel qu’il les perçoit ; il a surtout le devoir de provoquer leurs jeux et d’en surprendre les secrets. Dans ce but, le langage met à sa disposition des procédés infaillibles, la fiction, l’allégorie, l’allusion et surtout l’analogie. Celle-ci est la baguette magique du maître de danse, le sortilège qui charme les illusions et les fait accourir en hâte devant l’œil curieux du poète. L’écrivain n’a plus alors qu’à contempler leurs ébats ; il en notera les fantaisies et de la transcription de ce spectacle naîtront des poèmes symbolistes. Mallarmé a donné un exemple analytique de ce procédé évocatoire dans le morceau qu’il intitule : le Démon de l’analogie [1]. Cette pièce est curieuse, car elle résume l’art d’inspiration du poète, et montre de quelle manière Mallarmé réunissait les matériaux de ses poèmes : « Je sortis de mon appartement, écrit-il, avec la sensation propre d’une aile glissant sur les cordes d’un instrument, traînante et légère, que remplaça une voix prononçant les mots sur un ton descendant : « La Pénultième est morte » de façon que

La Pénultième


finit le vers et

est morte

————————————————se détacha de la suspension fatidique plus inutilement en le vide de signification. Je fis des pas dans la rue et reconnus en le son nul la corde tendue de l’instrument de musique, qui était oublié et que le glorieux Souvenir certainement venait de visiter de son aile ou

  1. Pages. Le morceau est transcrit selon les dispositions typographiques adoptées par Mallarmé.