Aller au contenu

Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
375
LES NÉO-CLASSIQUES

lentes évolutions de l’humanité. Ils répudient les méthodes usuelles comme manquant de sanction et ils ont introduit l’expérimentation dans le domaine de l’intelligence. Chez eux ce n’est plus la pensée qui se moule sur les mots ; ce sont les mots qui se moulent sur la pensée. Ils cherchent surtout à s’affranchir de ce tas de locutions usées qui forment le fond des cacographies actuelles, comme essuyer une défaite, encourir une disgrâce, dévorer sa honte, beau comme un astre, tendre comme la rosée… Non que ces expressions soient mauvaises en soi et inserviables, mais parce que le plus souvent ceux qui les emploient n’ont pas revécu l’idée ou la sensation qu’elles impliquent et qu’ils s’en servent au petit bonheur, simplement parce qu’elles leur viennent sous la main et ils s’en servent sans justesse et sans l’exacte notion des nuances… Non, en vérité, on n’aura jamais assez de mépris pour ces écrivains qui chaussent les bottes des autres et qui, ne sachant comment excuser l’impuissance de leur esprit et l’indolence de leur cerveau, se donnent pour prétexte qu’il est bon de parler comme tout le monde. Ce que je viens de dire des expressions, entendez-le des idées, de ces épouvantables lieux communs, véritables tissus d’erreurs que les enfants sucent avec le lait de leur nourrice, qu’ils retrouvent dans les auteurs du collège et qui faussent les esprits de plusieurs générations jusqu’à ce qu’un homme de génie Jean Huss, Galilée, Newton, Descartes viennent en démontrer l’inanité pour la gloire et le profit de tous [1]. » Après avoir ainsi fait le procès de la littérature incolore, Ernest Raynaud prononce contre la rime exaltée par le Parnasse un réquisitoire opportun qui naturellement appelle comme contre-partie une apologie de la métrique symboliste : « Je soutiens, écrit-il, que la rime est une cause de désordre musical, qu’elle est dure et désagréable à l’oreille, et la preuve

  1. M. Henry Fouquier et le Décadisme. Le Décadent, 15-31 décembre 1888.