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JOURNAL

Je repris ma pose naturelle, mais sans donner aucune marque de pardon ou de bienveillance, ce qui fit que papa redoubla d’amabilité.

Mon enfant, mon ange (je me parle à moi-même), tu es un ange, un ange positivement ! Tu savais toujours comment te conduire, mais tu n’étais pas en état ; à présent seulement tu commences à appliquer tes théories à la réalité !

À Poltava, mon père est roi, mais quel affreux royaume !

Mon père est archi-fier de ses deux chevaux Isabelle ; lorsqu’on nous les avança avec la calèche de ville, je daignai à peine dire : « Très joli ! »

Nous fîmes le tour des rues… désertes comme à Pompéi.

Comment ces gens-là peuvent-ils vivre ainsi ?… Je ne suis pas ici pour étudier les mœurs de la ville, ainsi passons.

— Ah ! fit mon père, si tu étais venue un peu plus tôt, il y avait du monde, on aurait pu arranger un bal ou n’importe quoi. À présent, il n’y a plus un chien ; la foire est finie.

Nous avons été dans un magasin commander une toile à peinture. Ce magasin est le rendez-vous de la gomme de Poltava, mais nous n’y avons trouvé personne.

Au jardin de ville, la même chose.

Mon père, je ne sais pourquoi, ne veut me présenter personne ; peut-être est-ce la crainte d’une trop forte critique ?

Au milieu du dîner arriva M…

Il y a six ans de cela, nous étions à Odessa, maman voyait souvent Mme M…, et son fils Gritz venait tous les jours chez nous jouer avec Paul et moi et me faisait la cour, m’apportait des bonbons, des fleurs, des fruits.