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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

fils critiquaient toujours les actions des pères, et, une fois à leur place, faisaient comme eux, pour être à leur tour critiqués par leurs enfants.

— C’est parfaitement vrai, cela, dit-il, mais mes fils ne me critiqueront pas, car je ne me marierai jamais.

Et au bout d’un instant je repris : — Il n’y a pas encore eu de jeunes gens qui n’aient dit la même chose.

— Oui, mais moi ce n’est pas la même chose.

— Et pourquoi ?

— Parce que j’ai vingt-deux ans et je n’ai encore jamais été amoureux, et aucune femme n’a attiré mes yeux.

— C’est tout naturel ; jusqu’à cet âge on ne doit pas être amoureux.

— Comment, et tous ces garçons qui aiment depuis quatorze ans ?

— Tous ces amours-là n’ont aucun rapport avec l’amour.

— Peut-être, mais je ne suis pas comme tout le monde, je suis emporté, je suis orgueilleux, c’est-à-dire je parle de mon amour-propre, et puis…

— Mais tout cela, ce sont des qualités que vous me citez…

— Des bonnes ?

— Mais oui.

Puis je ne sais à propos de quoi il me dit que si sa mère mourait, il deviendrait fou.

— Oui… pour un an, et puis…

— Oh ! non je deviendrais fou, je le sais.

— Pour un an, car tout s’efface à force de voir des figures nouvelles.

— Alors vous niez les sentiments éternels et la vertu ?

— Positivement.