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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

étoiles de Paris, qui, éteintes là, viennent briller chez vous.

Vous soupez et vous vous endormez sur le tapis, mais les garçons du restaurant ne vous laissent pas tranquilles, on vous fourre des oreillers sous la tête et on vous couvre de couvertures, par-dessus votre frac trempé de vin et votre faux col froissé.

Vous rentrez le matin chez vous pour vous coucher ou plutôt on vous rentre. Et comme alors vous êtes pâles, laids, ridés ! Et comme vous vous faites pitié à vous-mêmes !…

Puis, puis… vers trente-cinq ou quarante ans, on s’éprend définitivement d’une danseuse et on l’épouse. Elle vous bat et vous jouez le rôle le plus misérable dans les coulisses pendant qu’elle danse…

Ici je fus interrompue, Gritz et Michel tombent à genoux et demandent ma main à baiser, s’écriant que c’était fabuleux et que je parlais comme un livre !

— Seulement, dit Gritz, le dernier… Tout est vrai, excepté la danseuse. Je ne me marierai qu’avec une femme du monde. Et je suis un homme de famille, moi ; j’adorerai avoir ma maison, ma femme et des gros bébés qui crient, j’en raffolerai.

Nous avons joué au croquet, papa nous surveille. II remarque l’assiduité de Gritz. Et comment n’être pas assidu ? je suis seule ici.

Il devait partir à quatre heures, mais à cinq heures il me demandait s’il pouvait rester à dîner et, après dîner, déclarait qu’il aimait mieux ne pas se mettre en route la nuit.