Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/191

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choses avec calme — Je déteste l’agitation, le tapage. »

Après avoir fait passer du portefeuille de l’étranger dans le sien un certain nombre de billets de banque, Haley revint à son cigare.

Par une soirée transparente et sereine, le bateau s’arrêta au débarcadère de Louisville. Toujours assise à la même place, la femme tenait dans ses bras son nourrisson profondément endormi. Lorsqu’elle entendit crier le nom de la station, elle déposa en toute hâte l’enfant dans un petit berceau, fermé par un creux au milieu des bagages ; puis elle s’élança vers le bord de la barque, espérant apercevoir son mari, parmi les garçons d’hôtel qui accouraient au débarcadère. Tandis que, penchée au-dessus de la balustrade, elle promenait des regards perçants sur les têtes mouvantes du rivage, la foule, restée à bord, se pressa entre elle et l’enfant.

« Alerte ! voilà le moment ! dit Haley. Il enleva le petit dormeur, et le passa à l’étranger. N’allez pas le réveiller au moins, ni le faire pleurer ! nous aurions un vacarme du diable avec la mère. »

L’homme prit soigneusement le paquet, et se perdit bientôt parmi les passagers qui débarquaient.

Quand le bateau, gémissant et soufflant, fut détaché de la rive et commença lentement à se remettre en haleine, la femme regagna sa place. Le marchand était là, — l’enfant n’y était plus !

« Quoi !… où… où donc ? s’écria-t-elle tout égarée.

— Lucie, dit Haley, l’enfant est parti ; autant que vous le sachiez tout de suite. Vous ne pouviez pas songer à l’élever dans le Sud ; je le savais, moi, et j’ai trouvé l’occasion de le vendre dans une bonne famille, qui l’élèvera mieux que vous n’auriez pu le faire. »

Le marchand en était venu à ce degré de perfection chrétienne et morale, si prôné depuis peu par certains prédicants et certains politiques du Nord ; il ne lui restait pas l’ombre de préjugés ou de faiblesse humaine. Son