Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être vaguement dans l’esprit d’Éva. Mais les pensées enfantines ne sont encore que des instincts mal définis. On sentait poindre au fond de cette noble nature nombre de réflexions latentes, d’élans en germes, d’obscures perceptions que l’enfant ne pouvait formuler. Lorsque miss Ophélia s’étendit, au large et au long, sur les crimes de Topsy, l’angélique figure d’Éva se couvrit d’un nuage de tristesse, et elle dit doucement :

« Pauvre Topsy, qu’avais-tu besoin de voler !… Maintenant l’on aura bien soin de toi. — Sais-tu, Topsy, j’aimerais mieux te donner tout ce que j’ai que de te le voir prendre ? »

C’étaient les premiers mots affectueux que l’enfant eût entendus de sa vie. Le ton doux, l’air amical, touchèrent étrangement ce cœur inculte et grossier ; quelque chose d’humide scintilla dans l’œil rond et perçant, mais le ricanement court et glacé reparut presque aussitôt. L’oreille qui ne s’est ouverte qu’à l’injure se refuse à comprendre quelque chose d’aussi divin que la bonté. Topsy trouva les paroles d’Éva bizarres, inexplicables ; — elle n’y crut pas.

Mais que faire de la petite négresse ? C’était une véritable énigme pour miss Ophélia ; ses règles d’éducation devenaient inapplicables. Pour se donner le temps d’y réfléchir, et dans la vague espérance qu’au fond d’un cabinet noir se trouve toujours quelque vertu cachée, elle y mit Topsy en prison, en attendant que ses idées à elle se fussent un peu éclaircies.

« Je ne sais, en vérité, dit-elle à Saint-Clair, comment venir à bout de l’enfant, sans la fouetter.

— Fouettez-la, si le cœur vous en dit ; vous avez plein pouvoir ; agissez à votre guise.

— On a fouetté les enfants de tous temps, reprit miss Ophélia. Je n’ai jamais ouï parler d’éducation sans un peu de fouet, plus ou moins.

— À merveille, répliqua Saint-Clair, faites pour le