Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que son temps sur terre sera court ? Est-ce l’instinct secret de la nature défaillante ? Sont-ce les palpitations, les battements d’ailes de l’âme qui entrevoit l’immortalité ? Quelle que soit la cause, au fond du cœur d’Éva reposait la paisible, douce et prophétique assurance que le ciel était proche : persuasion sereine comme les rayons adoucis du soleil couchant, suave comme les placides beautés de l’automne, et dans laquelle se reposait ce pur esprit, troublé seulement par la douleur de ceux qui l’aimaient.

Quant à elle, quoique entourés dès le berceau de si vives tendresses, quoique voyant se déployer devant elle les perspectives dorées et séduisantes de l’opulence et de l’amour, elle ne regrettait rien, et ne pleurait pas sur elle-même.

À travers les récits du livre qu’elle et son humble ami lisaient si souvent ensemble, elle avait entrevu, et avait accueilli en son jeune sein, l’image de celui qui aimait les petits enfants : à mesure qu’elle la contemplait en ses pensées ingénues, l’image, cessant peu à peu de n’être qu’un souvenir, un divin et lointain reflet, arriva presque à la rayonnante réalité. Son âme émue se fondit en une tendresse surhumaine, et c’était vers Lui, disait-elle, c’était vers son royaume, qu’elle se sentait glisser.

Puis elle se reprenait, avec une touchante sollicitude, à s’attendrir sur ceux qu’elle laissait en arrière, — son père surtout. Éva, d’instinct, et sans qu’elle s’en fut rendue compte, savait qu’au fond de ce cœur-là elle pénétrait plus avant que dans tous les autres. Elle aimait aussi sa mère, — n’était-elle pas tout amour ? — Le féroce égoïsme, sur lequel il était si difficile de fermer totalement les yeux, l’inquiétait un peu dans sa naïve croyance en l’infaillibilité maternelle ; mais, ce qu’elle définissait mal, et n’aurait pu justifier, elle le palliait en se disant qu’après tout c’était maman, et qu’elle l’aimait bien fort.