Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je ne vends pas des nègres morts, repartit Legris d’un ton bourru ; enterrez-le où et comme il vous plaira.

— Garçons, dit George avec autorité à deux ou trois nègres qui restaient là à regarder le corps, aidez-moi à le soulever et à le porter dans ma voiture, et donnez-moi une bêche. »

Un d’eux courut en chercher une ; les deux autres aidèrent George à transporter le cadavre.

Le jeune homme n’adressa ni une parole ni un regard à Legris qui, sans contremander ses ordres, demeurait là debout, sifflant avec une insouciance affectée. Il les suivit, d’un air de mauvaise humeur, jusqu’à la voiture qui était arrêtée devant la porte de la maison.

George étendit son manteau, fit placer soigneusement le corps dessus, — dérangeant le siège pour faire place. Enfin il se retourna, regarda fixement Legris, et lui dit avec un sang-froid contraint :

« Je ne vous ai pas déclaré ma pensée sur toute cette atroce-affaire ; — ce n’est ni l’heure ni le moment. Mais, monsieur, ce sang innocent obtiendra justice. Je proclamerai ce meurtre sur les toits, s’il le faut ! et je vous accuse devant le premier magistrat que je pourrai trouver.

— Allez ! dit Legris faisant claquer dédaigneusement ses doigts. J’aurai plaisir à vous voir vous démener. Où comptez-vous prendre vos témoins, s’il vous plaît ? — Où sont vos preuves ? Allez ! bon courage ! »

George vit toute la portée de ce défi. Il n’y avait pas un blanc sur l’habitation ; or, dans tous les tribunaux du Sud, le témoignage des gens de couleur n’est pas admis. Il lui sembla dans ce moment que le cri d’indignation qu’il refoulait au fond de son cœur pouvait pénétrer la voûte des cieux pour en faire descendre la justice ; vain espoir !

« Après tout, que d’embarras pour un nègre mort ! » dit Legris.