Aller au contenu

Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
189
NATURE DE L’INSTINCT

Chenille. Ce sentiment de vulnérabilité pourrait ne rien devoir à la perception extérieure, et résulter de la seule mise en présence du Sphex et de la Chenille, considérés non plus comme deux organismes, mais comme deux activités. Il exprimerait sous une forme concrète le rapport de l’un à l’autre. Certes, une théorie scientifique ne peut faire appel à des considérations de ce genre. Elle ne doit pas mettre l’action avant l’organisation, la sympathie avant la perception et la connaissance. Mais, encore une fois, ou la philosophie n’a rien à voir ici, ou son rôle commence là où celui de la science finit.

Qu’elle fasse de l’instinct un « réflexe composé », ou une habitude intelligemment contractée et devenue automatisme, ou une somme de petits avantages accidentels accumulés et fixés par la sélection, dans tous les cas la science prétend résoudre complètement l’instinct soit en démarches intelligentes, soit en mécanismes construits pièce à pièce, comme ceux que combine notre intelligence. Je veux bien que la science soit ici dans son rôle. Elle nous donnera, à défaut d’une analyse réelle de l’objet, une traduction de cet objet en termes d’intelligence. Mais comment ne pas remarquer que la science elle-même invite la philosophie à prendre les choses d’un autre biais ? Si notre biologie en était encore à Aristote, si elle tenait la série des êtres vivants pour unilinéaire, si elle nous montrait la vie tout entière évoluant vers l’intelligence et passant, pour cela, par la sensibilité et l’instinct, nous aurions le droit, nous, êtres intelligents, de nous retourner vers les manifestations antérieures et par conséquent inférieures de la vie, et de prétendre les faire tenir, sans les déformer, dans les cadres de notre intelligence. Mais un des résultats les plus clairs de la biologie a été de montrer que l’évolution s’est faite selon des lignes diver-