Aller au contenu

Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

instants ; le même problème se pose, cette fois dans toute son ampleur et sa généralité : d’où vient, comment comprendre que quelque chose existe ? Ici même, dans le présent travail, quand la matière a été définie par une espèce de descente, cette descente par l’interruption d’une montée, cette montée elle-même par une croissance, quand un Principe de création enfin a été mis au fond des choses, la même question surgit : comment, pourquoi ce principe existe-t-il, plutôt que rien ?

Maintenant, si j’écarte ces questions pour aller à ce qui se dissimule derrière elles, voici ce que je trouve. L’existence m’apparaît comme une conquête sur le néant. Je me dis qu’il pourrait, qu’il devrait même ne rien y avoir, et je m’étonne alors qu’il y ait quelque chose. Ou bien je me représente toute réalité comme étendue sur le néant, ainsi que sur un tapis : le néant était d’abord, et l’être est venu par surcroît. Ou bien encore, si quelque chose a toujours existé, il faut que le néant lui ait toujours servi de substrat ou de réceptacle, et lui soit, par conséquent, éternellement antérieur. Un verre a beau être toujours plein, le liquide qui le remplit n’en comble pas moins un vide. De même, l’être a pu se trouver toujours là : le néant, qui est rempli et comme bouché par lui, ne lui en préexiste pas moins, sinon en fait, du moins en droit. Enfin je ne puis me défaire de l’idée que le plein est une broderie sur le canevas du vide, que l’être est superposé au néant, et que dans la représentation de « rien » il y a moins que dans celle de « quelque chose ». De là tout le mystère.

Il faut que ce mystère soit éclairci. Il le faut surtout, si l’on met au fond des choses la durée et le libre choix. Car le dédain de la métaphysique pour toute réalité qui dure vient précisément de ce qu’elle n’arrive à l’être qu’en pas-