Page:Binet - Les altérations de la personnalité.djvu/328

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se poursuit régulièrement, une conscience peut s’arrêter, et une personnalité trouve sa limite.

Tout ceci confirme pleinement les idées théoriques si intéressantes que M. Paulhan a récemment développées sur l’activité des éléments de la pensée[1]. M. Paulhan a réduit quelque peu le rôle attribué aux associations d’idées et montré que ces associations ne sont que des ouvrières au service d’influences supérieures qui les dirigent.

Si ce n’est pas l’association d’idées qui est le ciment de la personnalité, c’est-à-dire qui réunit en faisceau des phénomènes multiples et leur donne l’unité, on peut penser que ce rôle est dévolu à la mémoire. On a longuement insisté sur la mémoire, comme facteur de la personnalité ; on a même plutôt exagéré son rôle qu’on ne l’a diminué. Pour beaucoup de philosophes la mémoire serait le fondement unique de notre identité personnelle. Les observations que nous avons rapportées confirment-elles cette opinion ?

Nous avons vu des personnalités se succéder chez un même individu physique ; nous les avons vues aussi coexister ; ce qui a fait leur séparation, c’est tout d’abord l’état de la conscience ; telle personnalité, avons-nous remarqué, n’a point conscience de tout un groupe de phénomènes psychiques intelligents ; ce groupe ne fait donc pas partie de cette personnalité ; l’absence d’une conscience unifiante est ce qui nous permet de dire qu’il y a là deux personnalités et non une seule ; la perte de conscience prend, dans certains cas, la forme matérielle de l’anesthésie ; dans d’autres cas, c’est une distraction, c’est-à-dire une perte de conscience légère et fugitive. Or, la perte de conscience conduit à la perte de mémoire ; c’est le même phénomène, avons-nous dit souvent, car la mémoire n’est pas autre chose que la conscience rétrospective ; l’amnésie continue donc l’anesthésie ; et de même que l’anesthésie est la barrière séparant des personnalités coexistantes, l’amnésie est

  1. L’activité mentale et les éléments de l’esprit, Paris, 1889.