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en comble, si l’acte que le conseil de Brabant avait dépêché n’était pas conforme de mot en mot à la dernière requête présentée au nom des nations.

On reprocha à Anneessens d’avoir répondu à cette question : « Voyez donc dans quel état tout cela se trouve ! » par ces mots : « Ce n’est pas assez, morbleu ! ce n’est qu’une récompense bien méritée » et d’avoir proféré ces paroles avec une satisfaction mal déguisée. Le misérable qui attribua au doyen ces paroles criminelles se rétracta ensuite et se borna à affirmer qu’il s’était trouvé, après le pillage, avec Anneessens dans un cabinet de la chancellerie. Néanmoins le coup était porté et le ressentiment du conseil de Brabant contre le tribun populaire ne put que s’accroître lorsque ses membres entendirent formuler contre lui le reproche d’avoir contribué à la dévastation du lieu de leurs séances, du sanctuaire même de la justice. Aujourd’hui que le jour s’est fait sur cette procédure ténébreuse, on peut sans peine se convaincre des inexactitudes volontaires qui furent groupées en faisceau pour perdre le doyen.

Les scènes qui suivirent mirent le comble à l’indignation publique. À peine de Prié eut-il réuni un nombre considérable de troupes qu’il prescrivit aux doyens de prêter le serment sur le pied du règlement additionnel de 1700, sous peine de bannissement perpétuel et de confiscation des biens. Ses ordres étant restés sans résultat, il fit commencer, mais dans le plus grand secret, les procédures contre les syndics des nations, accusés d’avoir excité le peuple à la révolte et encouragé les autres doyens à résister aux volontés de l’Empereur. Le marquis voulait faire arrêter les doyens sans aucune formalité, à l’exemple de ce qui s’était pratiqué, vingt ans auparavant, du temps de l’électeur de Bavière. Ayant à sa disposition des forces suffisantes, il jugea inutile d’avoir égard aux lois et aux usages du pays, où il se considérait, sa correspondance le constate, comme le délégué d’un prince absolu. À l’entendre, le pays était trop heureux de vivre sous les lois de Charles VI. Mais les membres du conseil d’État auxquels de Prié communiqua ses desseins, les ayant désapprouvés, il se décida à prescrire des informations préalables et à agir « par les voies de justice régulières et accoutumées en pareil cas, à charge desdits coupables. »

L’arrestation des doyens suspects s’opéra de la manière la plus déshonorante pour ceux qui y prirent part. Sous prétexte de les entretenir de commandes pour les corps de la garnison, on appela Anneessens et son collègue De Haese chez le colonel Falck, qui demeurait rue Sainte-Anne, et à peine s’y trouvaient-ils qu’ils furent arrêtés et conduits au corps de garde de la place du Sablon, où l’on amena également les doyens Lejeune et Vander Borcht, qui avaient été attirés de la même façon chez le colonel Khevenhuller ; tous furent conduits à la prison dite la Steenporte, où le maçon Coppens vint les rejoindre (14 mars 1719). D’autres doyens, prévenus à temps, parvinrent à fuir. Dès que ces événements furent connus du peuple, il s’attroupa sur le marché et brûla l’échafaud que le marquis y avait fait dresser pour effrayer les pillards ; une potence ayant été élevée au même endroit, pendant la nuit, un bourgeois voulut en arracher l’échelle, mais des soldats accoururent et le tuèrent à coups de baïonnette. Le calme produit par la terreur régna alors dans Bruxelles ; cependant le marquis ne retira pas un grand honneur de son heureuse expédition, pour laquelle il avait tiré une si étrange part de la complaisance des officiers généraux. Le prince Eugène, entre autres, se montra peu satisfait de ce mode de procéder : « Il y a certaines choses, dit-il dans sa lettre du 31 mai 1719, dont on peut dispenser les officiers ; faute de quoi, on s’attire des odieusités et fait connoître de la foiblesse, dont le souvenir a quelquefois des longues suites, quoi qu’elles n’éclatent pas d’abord. »

Les procédures commencèrent immédiatement et durèrent six à sept mois. Le soin de recueillir les informations à charge des accusés fut confié à l’avocat fiscal Antoine-François Charliers, magistrat dur et inflexible, et au plus jeune conseiller de Brabant, Philippe-Clériarde