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vembre 1758, de Marie-Gertrude Legrand et de Thomas Bassenge, procureur. Cet estimable citoyen, dont nous allons essayer de compléter la biographie, a marqué dans l’histoire de son pays à la fin du xviiie siècle. Digne, par les qualités qui le distinguaient, de l’affection et de l’estime de ses contemporains, il a, par son patriotisme, son désintéressement, son courage, mérité d’occuper une place honorable dans nos annales. Son père, homme instruit et connaissant tout le prix d’une bonne éducation, veilla à lui en donner une en rapport avec le rang qu’il occupait dans la bourgeoisie de sa ville natale. Visé, l’une des vingt-deux petites villes de la principauté liégeoise, possédait alors un collége dirigé par les oratoriens et que recommandait le mérite de plusieurs de ses professeurs. Bassenge y fit ses humanités et y rencontra Reynier et Henkart, avec qui il noua des rapports d’amitié que la mort seule put rompre. Plus tard Hyacinthe Fabry fut compris dans cette touchante association, et c’est lui, dernier survivant de cette pléiade d’hommes d’esprit et de cœur, qui s’imposa la pieuse tache de conserver les titres poétiques de ses amis[1].

En 1781, Bassenge débuta dans la carrière d’homme de lettres par une pièce de vers intitulée : La Nymphe de Spa. Il avait alors vingt-deux ans. Cette pièce, qu’un juge compétent[2] a qualifiée de « gracieuse épître, pleine de courtoisie et de verve, » était adressée à l’auteur de l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes. Œuvre d’un jeune homme ardent et imbu des idées dominantes, elle témoignait d’une grande admiration pour un livre bien surfait alors et bien déchu aujourd’hui de cette réputation imméritée. Il y avait là un vers contre les « clameurs des vils cagots des bords de la Seine ; » mais, en définitive, le seul reproche sérieux qu’on pût lui faire, c’était d’élever trop haut l’historien à qui elle était adressée. Ce tort, Bassenge le partageait avec la grande majorité du public, et la présence de Raynal, qu’il rencontra à Spa, où son père malade l’avait emmené, avait excité sa verve.

Au lieu de laisser passer inaperçue cette saillie d’un jeune poëte, des membres trop zélés d’un clergé, qui cependant ne passait pas pour intolérant, la déférèrent au consistoire qui en fit une grosse affaire. Invité à s’expliquer, Bassenge, au lieu de se rendre à l’injonction, s’adressa au prince-évêque. Velbruck, dont les goûts littéraires sont connus, qui lui-même avait reçu Baynal, fit bon accueil à la pétition : il ordonna d’arrêter les poursuites. L’auteur, néanmoins, reçut encore deux sommations de comparaître, et, enfin, le 27 octobre, le synode publia un mandement contre « une pièce de vers insultante pour tous les genres d’autorité, » se réservant d’en « punir l’auteur selon la rigueur des lois. » Le vicaire général comte de Rougrave présidait ordinairement : c’était un homme modéré qui probablement eût fait entendre raison à ses collègues ; mais il était absent, et la présidence appartenait en ce cas à De Ghisels, chanoine tréfoncier qui devint bientôt après grand écolâtre, et qui céda imprudemment aux sollicitations de quelques ardents du chapitre cathédrale. L’affaire prenait des proportions graves, et Velbruck dut intervenir de nouveau pour étouffer des poursuites, qui certainement n’auraient pas tourné à l’avantage de ceux qui les réclamaient.

Peu de temps après, Bassenge partit pour Paris. Si les tracasseries que lui avait suscitées son épître à Baynal ne furent pas complètement étrangères à ce voyage, il paraît cependant que, pour lui, l’objet principal de ce séjour dans la capitale de la France était de se former le goût. Les papiers du bourgmestre Fabry, qu’il appelait son second père, renferment des lettres où se trouvent de curieux renseignements à ce sujet. Il y est notoirement question d’un ouvrage dont Bassenge préparait le prospectus, et sans doute il était déjà parvenu à se créer des ressources, car une de ces lettres renferme le passage suivant : « Si

  1. Loisirs de trois amis, Liége, 1822, 2 vol. in-8o.
  2. Le baron de Stassart : Notice consacrée à Bassenge, dans la Biographie universelle de Didot, et plus tard reproduite dans le volume de ses œuvres.