Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 1.djvu/455

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A l’esprit d’aventure qui constituait le fond de son caractère, Baudouin joignait une noblesse de sentiments tout à fait chevaleresque, dont il donna des preuves en plusieurs circonstances, même à ses ennemis. Ainsi, lorsque, en 1004, les habitants de Ptolemaïs eurent consenti à se rendre à condition de pouvoir se retirer avec tous leurs biens, et que les Génois se furent jetés sur ces infortunés pour les dépouiller et les égorger, il fallut toutes les supplications du patriarche Dagobert pour détourner le roi de lancer ses chevaliers sur ses propres alliés. Ainsi encore, en 1101, comme il revenait d’une expédition militaire avec un grand nombre de prisonniers qu’il avait faits au delà du Jourdain, il arriva que, chemin faisant, la femme d’un des principaux émirs arabes se sentit prise de mal d’enfant. Baudouin lui témoigna la plus vive sollicitude ; et, ne voulant pas l’exposer aux dangereuses fatigues de la route, lui procura un commode abri, lui laissa quelques-unes de ses esclaves pour l’assister, deux chamelles pour lui fournir du lait, et même le manteau dont il était couvert. Cet acte de charité porta ses fruits. En effet, au printemps de l’année suivante, une armée musulmane de vingt mille combattants ayant débouché d’Ascalon et pénétré jusque dans le voisinage de Rama, Baudouin fut forcé de s’enfermer dans cette ville avec une cinquantaine de lances, après avoir imprudemment engagé le combat et essuyé un sanglant échec. Il eût été perdu, si le chef arabe dont il avait si généreusement protégé la femme, ne l’eût aidé à regagner Jérusalem avec quelques-uns des siens.

Cependant la politique qu’il avait poursuivie en opérant la conquête de la plupart des villes maritimes de la Syrie, fut loin d’avoir les résultats qu’il en avait espérés ; car, durant tout le reste de son règne, on n’y vit plus aborder aucune flotte de croisés un peu importante. Puis, encore, quand la plus grande unité de vues était nécessaire pour affermir le royaume, le désordre était partout. D’un côté, c’était l’égoïsme du patriarche de Jérusalem qui ne s’occupait que de grossir son trésor au prix du sang des hommes d’armes. D’un autre côté, c’était l’égoïsme de la plupart des seigneurs qui, après avoir réussi à se tailler un domaine plus ou moins considérable dans le territoire conquis, songeaient avant tout à leur défense personnelle ou à leur agrandissement particulier et se préoccupaient médiocrement d’un plan commun d’opérations militaires. Souvent même éclataient parmi eux des querelles que l’ennemi ne se faisait jamais faute de mettre à profit pour organiser des campagnes contre l’un ou contre l’autre. Baudouin appliquait toutes ses forces à maintenir entre eux l’union et la concorde, sans y réussir toujours. Il vit même, en 1110, une formidable armée musulmane envahir le comté d’Édesse à la sollicitation de Tancrède, qui administrait la principauté d’Antioche au nom de Bohémond de Tarente, rentré en Europe avec l’intention d’y lever une armée. Dans cette grave circonstance, il fallut que le roi réunît toutes ses forces sur l’Euphrate pour sauver Édesse. Aussi les dernières années de son règne furent-elles singulièrement pénibles. Bien qu’il sentît que l’État dont il tenait les rênes était moins un royaume solidement assis qu’un camp passager, il n’en continua pas moins à se signaler par une foule de glorieux faits d’armes. Mais les forces dont il disposait étant trop peu nombreuses pour lui permettre de songer à quelque grande entreprise militaire, il fut réduit à se tenir simplement sur la défensive au milieu des hordes ennemies qui l’entouraient de toutes parts. A la vérité, Jérusalem voyait, tous les ans, affluer des pèlerins de toutes les contrées de l’Europe ; mais presque tous retournaient dans leurs foyers après avoir visité les lieux saints, et bien peu restaient pour aider leurs frères à consolider le royaume. La situation de Baudouin devint surtout critique lorsque survint, en 1112, la mort de Tancrède qui avait jusqu’alors si vaillamment défendu la principauté d’Antioche et dont le faible successeur, son neveu Roger, n’était pas capable de contenir, du côté du nord, les hordes musulmanes campées entre l’Euphrate et l’Oronte. En effet, au commencement de l’été suivant,