Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 1.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nastère d’augustins à Dijon, après avoir abdiqué l’autorité ducale en faveur de son frère puîné, Jean, premier du nom ; que celui-ci, alors à peine âgé de seize ans, fut inauguré l’année suivante et que Godefroid, le plus jeune des trois fils du feu duc, fut investi du comté d’Arschot. Ces deux princes paraissent avoir continué à notre poëte la protection et la bienveillance dont leur père l’avait honoré ; car il s’exprime en ces termes dans le poëme de Cléomadès :

Lui (Jean) et mon seignor Godefroit
Maintes fois m’ont gardé de froit.

Cependant il ne resta pas longtemps à la cour du nouveau duc, soit que son imagination, surexcitée par les créations romanesques et par les poétiques incidents des gestes au récit desquels il allait consacrer exclusivement son talent, lui eût inspiré le goût des voyages lointains et des aventures peut-être, soit qu’il n’eût pas trouvé dans Jean un admirateur assez fervent des lettres françaises, ce prince, poëte lui-même, s’adonnant plus spécialement à la culture de la langue flamande, comme on peut l’inférer des neuf chansons qu’il nous a laissées et qui sont écrites dans cet idiome. Quel qu’ait été le motif réel de son départ du Brabant, nous le trouvons attaché, en 1269, à Gui de Dampierre, futur comte de Flandre, dont le père, Guillaume, avait été un zélé protecteur des poëtes, selon le témoignage de Marie de France et d’autres écrivains contemporains. Gui lui-même avait hérité de son père le goût de la poésie, comme l’atteste Adenès dans ces vers de son chant des Enfances Ogier :

Li jongleöur deveront bien plourer
Quant il morra ; car moult pourront aller
Ains que tel prince puissent mais recouvrer.

La nouvelle position d’Adenès devait lui sourire d’autant plus que son maître, l’un des principaux grands vassaux de la France, du chef de sa mère, Marguerite de Flandre, se préparait à prendre part à la deuxième croisade organisée par le roi saint Louis. Aussi bien cette expédition allait offrir au poëte l’occasion de voir de près le spectacle de ces grands coups d’épée qu’il s’apprêtait à décrire dans ses chants. En effet, nous le voyons, au printemps de l’année 1270, suivre, avec tout le corps des ménestrels, Gui de Dampierre au port d’Aigues-Mortes, où se rassemblait l’armée royale.

On sait que cette croisade, destinée d’abord à soutenir le pouvoir déjà chancelant des chrétiens en Syrie, fut brusquement détournée de son cours par l’influence égoïste du roi Charles de Sicile et dirigée vers Tunis. Arrivée en Afrique, le 18 juillet, elle rentra en Europe le 18 novembre, après avoir accompli quelques infructueux faits d’armes et vu mourir, deux mois auparavant, le roi Louis non loin des ruines historiques de Carthage.

Adenès descendit-il avec son maître sur la côte d’Afrique ? ou resta-t-il dans l’un des navires qui se tinrent à l’ancre sur la rade de Tunis, avec les maisons de la reine de Navarre, de la comtesse d’Artois et de la femme de Philippe de France ? Aucun document ne nous renseigne à ce sujet. De sorte que notre poëte se vit peut-être trompé dans l’espoir qu’il devait nourrir d’assister à quelque importante action militaire, ou de s’y mêler, à l’exemple de son poétique prédécesseur, Quesnes ou Conon de Béthune.

La flotte ayant transporté l’armée royale de Tunis à Trapani, en Sicile, vers le milieu du mois de novembre 1270, nous y retrouvons Adenès visitant tour à tour les villes de Montréale, Palerme, Catane et Messine. Vers la fin de janvier 1271, il passe, avec la maison de Gui de Dampierre, le détroit du Phare ; puis, il traverse, à petites journées, toute l’Italie du sud au nord, par Cosenza, Naples, Capoue, Rome, Viterbe, Florence, Bologne, Modène, Reggio, Parme, Bergame, Milan, Novare et Verceil. Le 11 mai, il opère l’ascension du grand Saint-Bernard, dîne au célèbre hospice et arrive le lendemain à Villeneuve sur le lac de Genève. Deux jours après, il atteint Lausanne et prend le chemin de Paris par Dôle, Châtillon, Bar-sur-Aube et Provins.

S’il ne fut pas donné à notre poëte de prendre un rôle actif dans l’expédition avortée de Tunis, au moins il rapporta de son voyage une foule de souvenirs