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de son douaire était assignée sur la châtellenie de cette ville. Il est à propos de rappeler ici que cette Béatrice, quoique éloignée de la cour de Brabant, y exerça toujours une grande influence. (Voir ce nom)[1].

Henri III, grand protecteur des trouvères, Adenez, Perrin d’Angecourt, etc., paraît avoir recherché tout spécialement l’amitié de Berneville. Il mit en lui toute sa confiance, et il ne paraît pas que, même dans les affaires politiques les plus épineuses, il ait eu à regretter d’avoir suivi ses conseils. On sait que ce brillant duc de Brabant aimait à apaiser les querelles ; il imitait en cela saint Louis, son contemporain. C’est ainsi qu’en 1257, il obtint de Charles d’Anjou (autre ami de Berneville) qu’il renonçàt à toutes ses prétentions sur le Hainaut. C’est sans doute à la même époque que Henri III proposa à son poëte-diplomate une tenson ou dispute d’amour des plus délicates (K. Bartsch, Chrestomathie, 319). Il commença par lui envoyer le couplet suivant, dont son partenaire devait employer les rimes, suivant un usage emprunté à la Provence :

Biaus Gillebers, dites s’il vos agrée.
Respondeis moi à eeu ke vos demant :
Uns chevaliers ait une dame amée
Et ce sai bien k’il en est si avant
Ke de li fait nuit et jor son talent.
C’amors ait si la dame abandonnée :
Dites s’amours vait por eeu aloignant.

Berneville répondit qu’un amant loyal mesure sa délicatesse à la confiance qu’on lui témoigne. Mais comme après l’échange de six couplets on n’était pas parvenu à s’entendre, le jugement d’amour fut déféré à deux autres chevaliers-poëtes, Raoul de Soissons, pour le duc, et Charles d’Anjou, pour Gilebert.

C’est par ces dialogues rimés, où Berneville paraît avoir surpassé tous ses contemporains, que nous pouvons constater combien on le recherchait partout. Il envoya ou renvoya des jeux-partis à messire Colart le Bouthillier, à Hues, châtelain d’Arras, à Michel du Chastel, à monseigneur Huitasse ou Eustache de Fontaines, à Ernoul Caupin, à Guillaume le Vinier, à Thomas Heriers, etc. À ce dernier, lauréat du Puy de Lille et riche bourgeois d’Arras, notre trouvère envoya un jour une sorte de parodie des jeux-partis. Il lui demandait, en vers charmants, s’il sacrifierait volontiers à l’espoir de faire un opulent héritage le plaisir de manger des pois au lard. Thomas soutint fort bien la plaisanterie. A propos d’une autre joyeuseté où M. A. Dinaux a cru retrouver l’idée-mère du Dieu des bonnes gens, on a signalé une assez curieuse mention de Berneville : « Dieu a fait mander Robert de le Pierre, celui qui sait la chanson du vieux Fromont (de la geste des Lorrains ? ). Vinrent après lui Ghilebers, Philippot Verdière (le chanteur de motets) et le tailleur Roussiaus. Dès que Ghilebers eut chanté de sa « dame chiere » Dieu s’écria qu’il voulait suivre à jamais leur bannière. Eh ! per li doureles, vadou, vada, vudourène !… »

Ce noël facétieux semble mettre Berneville en bien vulgaire compagnie ; mais il est bon de remarquer que dans les six couplets que compte la satire, on n’a, à tout prendre, qu’une revue des meilleurs chansonniers du temps. Il ne faut pas non plus, comme on l’a fait, attacher trop d’importance au détail qui y concerne Gilebert. On a été jusqu’à en conclure qu’en son temps on lui reprochait l’abus des épithètes accumulées et des lieux communs de la galanterie. Ce reproche pourrait s’adresser à tous les trouvères, même à Quènes de Béthune, qui chantait « Belle, douce, dame chère, » et à Thibaut de Navarre, qui ne comprit qu’à la fin le ridicule des banalités des « foilles et flors. » N’oublions pas, d’ailleurs, que Berneville l’emporte presque partout sur ses rivaux par le choix des expressions et la netteté des sentiments.

Si les pastourelles sont parfois allégoriques, comme le furent les bucoliques de Virgile et même de Théocrite, on peut se demander ce que signifie la citation d’Aix-la-Chapelle, de Guy le joyeux, de Dreux, l’ami de Béatrix, de Foucher, l’ami d’Alix, dans les trois pièces de Berneville qui figurent parmi les pièces recueillies sur

  1. Il peut s’agir ici d’un hommage purement littéraire, tout différent de celui qui était adressé à Béatrice d’Audenarde, logée au château de Courtrai.