Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

source féconde de progrès et d’amélioration ; car ce qui est reconnu comme décidément utile ne saurait être mauvais et vicieux. Il semble que cette conclusion finit par ne plus paraître à Blondeau tout à fait rigoureuse : il dut avouer, c’est M. Valette qui nous l’apprend, que la doctrine abstraite de l’utile, partout où elle n’est pas poussée à sa dernière perfection ou à son dernier ratfinement, peut donner lieu, en pratique, à de graves inconvénients, parce qu’elle offre à la violence et à la cupidité des ressources et des prétextes. On ne tente pas impunément d’effacer de la conscience humaine la distinction de l’utile et du juste ; Blondeau s’en aperçut sans doute un jour, car il devint de moins en moins affirmatif et cessa même, à un moment donné, d’invoquer Bentham. Comme beaucoup d’esprits mathématiques, il s’était attaché à un criterium exclusif et qui certes a sa grande importance, en matière de législation générale pénale, par exemple, au point de vue de l’application de la peine ; mais en définitive, au fond de sa conscience, il ne dut jamais être bien sûr que l’utilité de la peine soit la seule base du droit de punir.

Tout le monde s’accorde à reconnaître chez Blondeau une grande force de conception ; mais, dans ses écrits, sa profondeur est souvent telle, qu’on a peine à le suivre dans ses analyses. Il oublia plus d’une fois que le mieux est l’ennemi du bien. On a dit de lui qu’il était martyr de son intelligence rigoureuse et subtile. Il corrigeait et refaisait ses ouvrages à mesure qu’il les composait, et rarement il réussissait à les terminer. Une fois maître de sa pensée, il la condensait autant que possible, sans trop s’embarrasser du lecteur, et sans s’inquiéter du tort que pouvaient faire, à l’effet qu’il voulait produire, les questions épisodiques qu’il soulevait incessamment au milieu de la discussion principale. Mais ces défauts étaient rachetés par une logique puissante, par un esprit d’impartialité digne de la majesté sereine, de l’unité compréhensive et de la rectitude constante du droit romain ; enfin, par une franchise et une hardiesse d’argumentation qu’aucun préjugé, qu’aucune considération secondaire ne pouvaient intimider. — En s’associant aux rédacteurs de la Thémis, qui se proposaient, entre autres, de raviver l’étude des anciens textes et de les rendre à leur pureté primitive, il se montra partisan de la restauration de l’école de Cujas, c’est-à-dire du retour aux traditions du droit classique et à ses formes tout à la fois exactes et élégantes, par opposition à la phraséologie souvent incertaine et incorrecte des modernes. Mais, ajoute M. Valette, ce qui pour les autres était le but principal n’avait aux yeux de Blondeau que l’importance d’un moyen. On l’a dit ci-dessus : il n’attachait de prix aux antiquités juridiques que pour autant qu’elles pussent être utiles à la création d’œuvres nouvelles ou conduire à la rectification d’erreurs accréditées. Blondeau ne songeait qu’à l’avenir ; par-dessus tout, il était préoccupé de théories et de réformes. On lui doit d’excellents travaux de définition et de classification et des études d’une sagacité rare sur des questions spéciales, notamment sur la publicité des droits réels, dont l’organisation laisse à désirer dans nos codes. Sa fécondité était réellement prodigieuse, et elle ne nuisit point à sa légitime autorité. Son honorable collègue et apologiste, déjà cité, a pu écrire sans exagération : « Parmi tous ceux qui se sont livrés d’une manière sérieuse à l’étude du droit, depuis plus de trente ans, il n’en est guère dont l’attention ne se soit arrêtée sur quelque partie des écrits de M. Blondeau, et qui n’en aient ressenti, à quelque degré, la puissante influence… N’avons-nous pas vu Merlin lui-même le prendre en quelque sorte pour guide, en s’engageant dans le dédale obscur et presque inextricable de ce qu’on appelle l’effet rétroactif des lois ? » (Voir le Répertoire de jurisprudence, v° Effet rétroactif.)

Dans la vie privée, Blondeau possédait l’art de plaire. Sa conversation était attrayante, variée et toujours instructive. Aussi bien il avait vécu dans les relations les plus intimes avec des gens d’élite de tout caractère. Il compta parmi ses amis non-seulement les Mauguin. les Odilon--