Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/300

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nemi, un ordre de marche suivi dans les temps ordinaires.

Les Romains ne tardèrent pas à paraître.

A la suite du rapport des centurions envoyés en reconnaissance, César avait résolu d’établir son camp sur une colline de la rive gauche qui, de même que celle occupée par les Nerviens et en face de ceux-ci, descendait vers la Sambre par une pente insensible. La cavalerie fut envoyée en avant. Six légions suivaient, groupées en une masse compacte. Les bagages étaient relégués à la queue de la colonne, sous la garde de deux légions récemment levées. L’ordre de marche indiqué par les transfuges gaulois était complètement modifié.

Aussitôt que les Belges, qui ignoraient ce changement, aperçurent la tête des équipages, ils s’élancèrent du bois qui les abritait, descendirent la colline au pas de course, traversèrent la Sambre et se précipitèrent sur les Romains avec une fureur indicible. César et ses lieutenants, qui se croyaient à la veille de rencontrer l’ennemi, mais qui ne s’attendaient guère à le voir paraître en ce moment, furent surpris par cette brusque et fougueuse attaque. La plupart des légionnaires, travaillant aux retranchements ou dispersés dans la campagne pour recueillir du bois et du gazon, eurent à peine le temps de saisir les armes. Ils se rangèrent au hasard sous la première enseigne venue, et César lui-même fut forcé de s’emparer du bouclier d’un soldat. Les Atrébates, placés à l’aile droite, et les Véromanduens, qui formaient le centre, furent assez promptement repousses ; mais la résistance fut plus longue et plus opiniâtre à l’aile gauche, où combattaient Boduognat et les soixante mille Nerviens placés sous ses ordres. César et son armée s’y trouvèrent à deux doigts de leur perte. Dèbordant les flancs des légions qui leur étaient opposées, abattant les enseignes, tuant les chefs, dispersant la cavalerie, les Belges pénétrèrent jusqu’au camp de l’ennemi, portant partout le désordre et le carnage. La tactique savante et les armes perfectionnées des Romains purent seules triompher de leur bravoure. Les Nerviens qui tombaient au premier rang étaient aussitôt remplacés par ceux qui les suivaient ; les cadavres s’amoncelaient et, du haut de cette horrible éminence (ut ex tumulo), ceux qui survivaient renvoyaient aux ennemis leurs propres javelots. Le combat ne cessa que lorsque Boduognat et la presque totalité de son armée furent couchés dans la poussière. « Il n’y avait plus à s’étonner, s’écrie César, que des hommes si intrépides eussent osé traverser une large rivière, gravir des bords escarpés et combattre dans une position désavantageuse ; car rien ne semblait au-dessus de leur courage. »

Si l’héroïsme de Boduognat et de ses compagnons d’armes ne suffit pas pour préserver le sol natal de la souillure de l’invasion, ils eurent du moins la gloire de léguer un immortel exemple aux générations futures. Pour avoir la mesure de leur courage et de l’effroi qu’ils avaient causé aux envahisseurs, il suffit de rappeler que le Sénat romain, en apprenant cette victoire si chèrement achetée, ordonna qu’on ferait pendant quinze jours des sacrifices aux dieux du Capitole. « Jamais, dit Plutarque, on n’en avait fait autant pour aucune victoire. »

César affirme que la race et le nom des Nerviens furent presque entièrement anéantis dans cette bataille (prope ad internecionem gente ac nomine Nerviorum redacto). Il raconte que le nombre de leurs sénateurs se trouvait réduit de six cents à trois, et que de soixante mille hommes en état de porter les armes, il en restait à peine cinq cents[1]. Ce passage des Commentaires pèche par une incontestable exagération. Les Nerviens furent si peu anéantis qu’on les voit reparaître, avec des forces redoutables, dans les campagnes suivantes. Ils prirent notamment une part importante à la révolte d’Ambiorix (voyez ce nom) et au siége du camp de Q. Cicéron.

J.-J. Thonissen.
  1. Suivant l’abréviateur de Tite-Live (CIV), mille hommes armés avaient réussi à se sauver.