Aller au contenu

Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome I.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
205
L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

On lui avait promis demeure, bien-être, respect, amitié, tout ce qui est indispensable et doux à la vieillesse, et elle avait empêché la réalisation de cette promesse. Dieu savait combien ses motifs avaient été purs ; mais, en voyant penchée cette tête couverte de cheveux blancs, elle sentit qu’elle avait été cruelle.

« Papa, commença-t-elle à dire en passant son bras d’une façon caressante autour du cou de son père, mais il repoussa cette timide caresse ; papa, vous m’en voulez beaucoup, uniquement parce que j’ai fait ce que je crois être mon devoir. Je n’ai pas eu d’autre motif, cher père. Dans ce que j’ai dit ce soir à M. Lenoble je n’ai été guidée que par le sentiment du devoir.

— En vérité ! s’écria le capitaine avec un rire amer, et où avez-vous été chercher votre sentiment du devoir, je voudrais le savoir ? Chez quel hypocrite et bavard pasteur méthodiste avez-vous appris à faire la loi à votre père à ce point ? Honorez votre père et votre mère afin de vivre longuement, mademoiselle, voilà ce que la Bible vous enseigne ; mais la Bible est passée de mode, je présume, depuis le temps de ma jeunesse, et les jeunes femmes-modèles de la génération actuelle croient pouvoir faire la morale à leurs pères. Votre sentiment du devoir sera-t-il satisfait lorsque vous apprendrez que votre père est étendu sur un lit d’hôpital ou mourant de faim dans la rue ?

— Papa, je ne suis pas insensible à ce point. Je vous plains du fond de mon cœur ; mais il y a de la cruauté de votre part à exagérer comme je ne doute pas que vous le faites, les difficultés de votre position. Pourquoi seriez-vous privé de vos moyens d’existence, si je refuse d’épouser M. Lenoble ? Vous avez vécu sans mon aide jusqu’à présent comme j’ai pu me passer de votre